La chaleur… La chaleur était omniprésente. Un soleil de plomb écrasait les montagnes, annihilant toute volonté. Et pourtant, il fallait avancer. Une silhouette solitaire progressait dans le défilé, trainant des pieds, accablée de fatigue et abrutie par la température. Un turban autour du crâne pour se protéger du redoutable astre du jour, Lyne avançait vaille que vaille. Elle savait qu’elle était proche du but.
Mais soudain, la jeune femme s’arrêta, relevant sa tête naguère courbée sous le poids effarant de la température. Quelque chose n’allait pas. Ce calme, même sous un soleil aussi écrasant, n’était pas normal. Il était cependant trop tard : à peine se faisait-elle cette réflexion que la Britannique fut entourée par une dizaine d’hommes aux visages dissimulés par des turbans, armés d’armes rudimentaires, mais pointées sur elle.

- Halte, étrangère !, clama l’un des hommes. Tu es sur les terres du Shah, que tu traverses sans sa permission ! Suis-nous sans faire d’histoire.

Le Shah, le puissant Shah d’Iran, avait donc des yeux partout ! Même les montagnes les plus reculées de son royaume étaient surveillées, peut-être savait-il ce qu’elles renfermaient et assurait-il une garde ? Lyne jugea inutile de résister et suivit les hommes. La marche ne fut pas bien longue, assez vite le groupe arriva au fond du défilé, à une source qui formait une oasis au milieu des rochers. L’eau était peu profonde, et on avait installé au centre de l’étendue liquide un baldaquin. Des servantes s’activaient partout, qui apportant des plateaux de fruits exotiques, qui maniant un éventail, qui jouant de la musique… Dans l’ombre rafraîchissante du baldaquin, trônant dans de moelleux coussins de soie d’Orient, il était là : le Shah d’Iran.

- Sir Lancelot ?, fit Lyne, incrédule en voyant son chat avachi dans les coussins.

-  Chalut, petite Lynounette. Che suis le Chat d’Iran, répondit l’animal.

- Quel humour ! J’ignorais que mon chat avait fait l’école du rire.

- Silenze !  Che suis un guénie de l’humour !

- Pourquoi tu parles avec un accent allemand ?

Sir Lancelot pouffa avant de répondre, une mimique suffisante tordant ses babines.

- Huhuhu ! Mais parce que cha fait bien plus machatvélique ! Mais trêfe de plaisanteries : che sais que tu sais que che sais que tu sais… et donc, tu vas m’y conduire de chuite.

- Tu sais que je sais que…, résuma la blonde. T’m’as larguée, gros chaton.

Bien évidemment elle savait qu’il savait qu’elle savait qu’il savait, et elle savait aussi qu’il savait qu’elle essayait de gagner du temps. Il n’était pas question de se faire dépouiller de son travail de longue haleine si près du but par son propre animal !

- Silenze !, brailla ce dernier. Achtung ! Un peu de respect pour ton Chat !

L’intéressée obtempéra, levant les mains paumes ouvertes en signe d’apaisement, tête baissée, et se tut. Longtemps.

- Eh bien ?, reprit Sir Lancelot au bout de quelques dizaines de secondes. Parle !

- Je ne faisais qu’obéir à Sa glorieuse Majesté, répondit docilement Lyne, tête toujours inclinée. Mais si Elle me commande de parler, alors je parlerai. Je trouve qu’il fait agréablement bon dans Votre oasis, à vrai dire je suis chanceuse que Vos gardes m’aient trouvée, car je commençais à sérieusement me déshydrater et –

- Te moques-tu de moi ?!, explosa le matou. Che me fiche de ton état !

- Vous m’avez commandé de parler, Grand Chat, je parle…, rétorqua la jeune femme, faussement confuse.

- Ne choue pas à la plus maligne avec moi !, répliqua le Chat en agitant une griffe. Tu sais de quoi che veux parler !

- Hélas non Votre Grâce, ainsi que je vous l’expliquais, vous m’avez larguée…

- La peste soit de la lenteur d’esprit des blondes ! Che fais donc reprendre depuis le début. Moi, grand Chat d’Iran, suis à la recherche de la Souris. Et ch’ai détecté en toi eine grosse Potenzial, kleine Lynounette. Ch’ai donc mis en place un terrible plan imparable : che me suis introduit chez toi en me faisant passer pour un bête Katze et espionner. Ach ! Che suis un guénie !

- Mais t’es bien un chat ?, demanda Miss Carter sourcils plissés, feignant la surprise.

- Effidemment ! Que feux-tu que che sois d’autre ?

- Nan, cha – ça, pardon, me rassure, parce que si t’avais été un vrai Shah qui se transforme en chat, avoir partagé mon appartement avec un Shah qui se fait passer pour un chat… bref ! La Souris ? Jamais entendu parler. J’suis là pour un objet de la Perse antique, IIè siècle avant J-C. Alors ?

Lyne se délecta de voir l’air déconfit de Sir Lancelot qui perdait ses moyens, levant ses petites pattounes coussinets vers le ciel, jetant des regards hagards à l’entour… Bien sûr qu’elle savait, mais elle ne pouvait le dire ! L’Humanité avait besoin de la Souris. Pourquoi ? Parce qu’elle était celle qui devait débarrasser le monde de la domination tacite des chats, et sauver les humains de leur asservissement envers les félidés.

- Mais alors, la Souris…, commença-t-il.

- Elle est là la Souris !, beugla soudain une voix grave et gutturale au-dessus d’eaux.

Levant les yeux, tous virent alors une forme sombre descendre depuis les airs, à contrejour. Quand elle atterrit, ils purent la distinguer. C’était la Souris, descendue en parachute. Malgré sa petite taille, une intense aura de force se dégageait d’elle, et elle portait un casque américain et des Ray-Ban. Le drapeau de la liberté aux treize bandes et aux cinquante étoiles flottait dans son dos, car elle le portait comme une cape. Le Chat se mit alors à paniquer, miaulant à tout rompre, et la Souris leva sa sulfateuse…

- FOR FREEDOOOOOOOOOOM !!!, mugit le rongeur.

Dring dring dring dring dring dring dring, fit la sulfateuse. Dring dring ? Non, ça c’était le réveil…