La jeune Mangemort observait le cadavre. Il était livide, froid, vide. Plus rien d'autre qu'une enveloppe charnelle, un amas de matière n'ayant pas encore perdu sa forme humaine. L'illusion qu'un être décédé était encore présent. Que cet objet abritait encore une âme. Que la personne qui y était liée une infime seconde plus tôt ne s'était pas évaporée. Que celle-ci, choisit au hasard, victime du destin, ne s'était pas envolée.
...Un sort, un simple sort avait suffi. Il n'avait fallu qu'incanter, faire un geste de sa baguette. Si facile. Cela ne demandait pas le moindre effort, qu'une contribution moindre, élémentaire, un exercice agréable. Alors pourquoi était-ce si dur ?
...Elle revoyait sa victime chuter, s'écraser lourdement au sol. Le fracas de son crâne contre la pierre froide, le rebond qui s'en suivit. Le bruit horrible d'un os qui se brise, la nuque étendue en une position inhabituelle. Souffrir encore même quand c'est trop tard. Le poignet se tordre affreusement, et la flexibilité visible d'une poupée, un jouet qui s'offrait à sa meurtrière, encore conscient pourtant.
Sa bouche se mouvait avec peine sans qu'un son ne puisse en échapper. Pourtant, son cri muet faisait trembler les tympans, arrachait des frissons de douleur, vrillait le cœur. En silence, il dénonçait trop de choses inavouables, trop de vérités affreuses. Des confessions auxquelles on préférait se faire sourd.
Un ultime froissement de ses doigts courts qui se relâchent, un dernier battement de ses longs cils noirs, son torse voluptueux qui peine à se mouvoir, une expiration d'expiation. Et enfin elle s'immobilise. Plus un geste. Seulement la dernière parcelle de vie qui luisent encore dans ses pupilles, avant de s'élever vers les cieux. Les morts n'ont pas les paupières closes, mais au contraire les yeux grands ouverts, qui fixent, sondent, jugent. Condamnent.
...L'inconnu avait périe au ralentit. Et sa meurtrière revivait son ascension. Toujours plus touchante, brutale de douceur. Intolérable. C'était atroce, atrocement douloureux, atrocement vrai. Un souvenir lointain et proche, une boucle dans le présent. Enfermée, obligée de visionner l'inconcevable sans cesse.
...La jeune Mangemort avait été préparée à tuer. Mais elle n'avait jamais été préparée à voir mourir.
Note de fin : Ce texte est court, mais je tenais à le noter. Il m'est venu alors que je réfléchissais à cette guerre que je n'ai pas connue. On dit que de nombreuses personnes y ont été embrigadées sans qu'elle ne sache vraiment en quoi elle consistait. J'ai cherché à essayer de comprendre le moment ultime de leur désillusion, leur prise de conscience. Je serais incapable de dire si j'y suis, ou non, parvenue.