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'Pile ou Face' :

Il faisait gris ce matin : un ciel uniforme et terne recouvrait Poudlard et son parc comme une immense chape de plomb interdisant le passage de tout rayon de soleil. La journée promettait d’être morne et froide. Indifférente au temps, la vie du château suivait son cours. La Grande Salle, malgré l’heure matinale, était bien animée. Sûrement l’allongement des jours et les levers de soleil plus précoces ragaillardissaient-ils les élèves. Le brouhaha des multiples bavardages courait sur les tables, véritable torrent sonore. Reva avalait une ultime tartine, préalable nécessaire à la longue matinée de cours qui l’attendait si elle voulait tenir jusqu’au prochain repas sans trop ressentir les affres de la faim. Elle avait encore du temps devant elle, mais préférait être en avance plutôt que de courir après les minutes perdues.
Alors que l’Assamaise s’emparait de sa tasse pour finir son thé, dans un grand froufrou de plumes, la poste magique s’invita dans la vaste pièce. C’était toujours un spectacle particulier que de voir un essaim de hiboux et de chouettes déferler dans la Grande Salle. Les plus véloces des volatiles avaient déjà identifié les destinataires de leurs missives et fondaient sur eux avant de lâcher soudainement le courrier et de remonter tout aussi net. D’autres oiseaux, moins vifs d’esprit, voletaient sous le haut plafond en cherchant la personne à qui remettre leur lettre. Reva n’eut pas de courrier, elle en avait rarement. De qui en recevrait-elle, hormis son oncle ? Et celui-ci était assez peu prolixe en nouvelles, ce qui convenait parfaitement à sa nièce.
Dans les hiboux et chouettes de la poste magique, il y avait aussi les ratés, les facteurs étourdis… On aurait pu croire, à en voir certains, qu’ils buvaient leur content d’alcool à chaque livraison, comme les facteurs moldus dans les campagnes. L’un de ces oiseaux était parti dans un dangereux rase-motte au-dessus de la table des Poufsouffles, il allait arriver dans une première année… L’animal tenta de s’esquiver loin de la table, mais quelqu’un passait ! Le brave facteur des airs chercha donc à redresser son bec et à prendre de l’altitude, bien qu’il fût presque sur la jeune sorcière… Et ce fut le choc. Panique et plumes soulignèrent la collision, et le valeureux postier, déséquilibré par les gestes apeurés de la demoiselle jaune et noire, s’écrasa sur la table. Reva se désintéressa de la scène après cet atterrissage forcé. Soufflant doucement sur son thé, elle en prit une lampée de la boisson chaude. Il allait bientôt falloir qu’elle y aille.

Mais l’épilogue du crash du hibou reprit son attention. Apparemment, la jeune Poufsouffle avait dans sa panique renversé une boisson sur une Serpentarde un peu plus âgée, et celle-ci le prenait assez mal. Les gestes étaient survenus avant même les mots alors que la brune de Serpentard agrippait la gamine terrorisée pour la lever de force. Baguette à la main, elle reculait déjà, comme il était d’usage lors d’un duel.
Reva se leva d’un bond. Personne ne réagissait ! Pourquoi personne ne réagissait-il ? Parce que cette déchaînée de Serpentarde était une de ces soi-disant nobles au sang pur ? Si la noblesse et la pureté d’un sang avaient été mises à profit pour faire progresser la société et la tirer vers le haut plutôt que pour asseoir les privilèges injustes de quelques-uns sur la masse, l’Assamaise n’aurait peut-être pas eu ces convictions, mais ce qu’elle voyait était une démonstration de plus de la lutte des classes et de la tentative d’une minorité d’accaparer le pouvoir.
La table des Poufsouffles n’était pas si éloignée, mais Reva était assise dos au mur, et elle avait la moitié de la table des Gryffondors à contourner. Même si elle marchait à pas vifs, quand elle passa le bout de la table…

-Obscuro !

Et la petite de première année de tomber à genoux, victime de cécité. C’en était trop. La sixième année pensait se contenter de séparer les duellistes, si elle avait eu moins confiance en sa capacité de se frayer un chemin entre les élèves, elle aurait lancé un sort de désarmement… Mais voir que la Serpentarde, par une dérision de duel, voulait donner d’elle l’image de la sorcière magnanime qui laisse une chance à son adversaire de se défendre alors qu’elle s’en prenait à une gamine qui avait à peine eut le temps de sortir sa baguette, que cette maudite sang-pur tirait très certainement une joie malsaine de sa « victoire »…
L’action était certainement irréfléchie, mais elle vint toute seule. Arrivée dans le dos de la gagnante du duel, Reva lui agrippa fermement l’épaule droite de la main gauche, et la força d’un geste brusque à se tourner vers elle. Bien qu'elle eut sa baguette en main, le poing droit de l'Assamaise déjà en arrière vola tout aussi brusquement vers le nez de la Serpentarde.

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'Dé à 4 Faces' :

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'Dé à 4 Faces' :

Une hésitation. Le poing vengeur s’arrêta à deux pouces du nez de la Serpentarde. Le temps s’était comme figé, la lionne et le serpent se dévisageant. Tout semblait, au-delà même de leurs Maisons, les opposer. L’une avait un visage blanc comme de la porcelaine, l’autre le teint hâlé du Sud ; l’une était très certainement de l’aristocratie sorcière avec toute l’éducation que celui implique, l’autre était une Née-moldue ayant grandie dans une piètre condition. Malgré ces oppositions, elles se rejoignaient en un point : toutes les deux avaient cette même hargne.
Vraiment ? Pas sûr. Sinon, pourquoi Reva avait-elle stoppé son geste ? Par crainte de recevoir une punition ? Ce n’aurait pas été la première, ni la dernière : face à ce genre de comportement, elle se dresserait toujours. Par espoir que la pâle demoiselle soit intimidée et cesse ? Ce n’était pas le genre de ces gens, que la méprisante superbe poussait à faire n’importe quoi pour se hisser au sommet en prenant les autres comme appuis. Pourquoi, alors ?
Car, comme il était prévisible, dans les fractions de secondes qui suivirent l’intervention de l’Assamaise, la petite aristocrate se dégagea d’un geste sec avant d’incanter. Sa cible était juste devant elle, offerte. Pourquoi avait-elle arrêté son geste ? Bien sûr que la fille de porcelaine n’allait pas se rendre sous la menace ! Lourdement, Reva tomba dos contre le sol, les bras le long du corps, celui-ci aussi droit et rigide qu’une lame, victime du maléfice du saucisson.

Curieusement, alors qu’elle chutait en arrière, l’Assamaise se rappela comment une fois elle avait sauvé son ami d’enfance Tamish en envoyant une pierre dans le dos du grand Ratan. Ce n’était pas un misérable caillou qui allait mettre hors de combat la grosse brute, elle le savait. Mais Ratan avait cessé de donner des coups de pied à Tamish au sol et s’en était pris à Reva à la place. Qu’elle avait trinqué, ce jour-là ! Mais au moins son ami avait-il été laissé tranquille, il était même parti chercher un adulte pour faire cesser le lynchage.
Etait-ce ça que la sorcière avait tenté aujourd’hui ? Sauver une petite Tamish d’une grande Ratan en détournant son attention ? C’était certain, mais finir comme une poutre au sol n’était pas le dénouement envisagé. Ce n’était pas comme ça qu’elle détournerait la Serpentarde de sa victime, à moins qu’elle n’accorde plus d’importance à la menace de son petit nez cassé qu’à sa robe belle et bien poisseuse de jus de citrouille. C’était possible après tout, plus d’une personne ne supportait pas qu’on se dresse face à elle et passait toute son énergie du moment à faire comprendre à l’impudent perturbateur combien se mettre en travers de son chemin était idiot. Si la petite aristocrate réagissait de la sorte, alors Reva n’aurait peut-être pas complètement échoué, mais il lui faudrait alors s’attendre à endurer plus. Néanmoins, elle doutait que telle fut la réaction du serpent. Même les personnes les plus hautaines ne ternissent pas leur victoire en se rabaissant à frapper une cible sans défense quand ils sont au milieu d’une foule. Par contre, railleries et sarcasmes, cela pleuvrait certainement.
Sauf si Reva pouvait l’éviter. Même dans son inconfortable situation, il lui restait une ultime carte à jouer. Les chances de succès étaient minces, infimes, mais elle n’avait plus rien à perdre, et elle n’attendit pas longtemps alors qu’elle était au sol pour jouer son va-tout. L’Assamaise prit une lente inspiration en fermant les yeux, avant de les rouvrir. Tenter un sortilège informulé en étant victime d’un maléfice ne serait sûrement pas facile, mais le jeu en valait la chandelle. Echouer ne changerait rien à sa situation actuelle.

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'Dé à 4 Faces' :

Le sortilège informulé de Reva fut suivi d’un choc sourd annonciateur de réussite. Le serpent venait de retomber à sa place : étendu sur le sol. Si elle avait pu, l’Assamaise aurait ri, ri de voir cette peste ainsi réduite au silence, tomber des cimes de sa victoire aux tréfonds de sa défaite. Ce genre de retournement de situation était particulièrement jouissif. En temps normal, la sixième année n’aurait pas autant goûté ce délice de la victoire, mais face à une adversaire méprisante et hautaine, le succès devenait un nectar divin. Si ses lèvres ne pouvaient exprimer ce sentiment, ses yeux le faisaient bien assez. Le regard brillant, Reva contemplait le plafond de sa victoire à défaut d’autre chose.
Mais bientôt, son horizon fut bouché par une cascade blonde au milieu de laquelle se trouvait la tête de la petite Poufsouffle. La déroute de la Serpentarde l’avait libérée de sa cécité, et elle entreprit de rendre sa mobilité à Reva.

- Merci, dit-elle dans un souffle reconnaissant alors que l’Assamaise se redressait en position assise. Tu vas bien ?

Avant qu’une quelconque réponse ne puisse lui être donnée, la première année tournait la tête vers son assaillante étendue sur le sol à quelques pas.

- J’ai pris sa baguette… On fait quoi maintenant ?, poursuivit-elle.

Reva fronça légèrement les sourcils. Voler une baguette au milieu de tout ce monde ne mènerait à rien de bon : aussi coupable que puisse être la Serpentarde, elle obtiendrait gain de cause auprès des professeurs concernant le vol. Les duels tels que celui qui venait de se faire étaient proscrits, si l’aristocrate avait fait un usage illégitime de sa baguette en en initiant un, qu’une gagnante prenne son arme en trophée était tout aussi répréhensible. Qui plus est, dans n’importe quelle circonstance, si elle voulait s’attirer de gros ennuis, prendre la baguette d’un sorcier plus fort que soi et certainement rancunier était la meilleure façon pour la petite blonde de procéder.

- Conserver sa baguette est la dernière des choses que tu as envie de faire, répondit Reva, et comme pour appuyer ses propos, le serpent se redressait maladroitement pour mordre.

L’Assamaise ayant la vaincue en face d’elle, elle était aux premières loges pour remarquer qu’elle sortait de son immobilisation. Bien qu’elle fût grandement surprise, elle n’en montra rien. Il n’était au fond guère étonnant qu’une fille d’aristocrate ait de l’avance sur ses études, user de sa richesse et de son influence pour apporter l’excellence à sa progéniture était une méthode aussi vieille que l’espèce humaine. La voir en œuvre était cependant autre chose, et cette vociférante poupée de porcelaine qui venait réclamer son bien n’était sûrement pas à prendre à la légère. Arrachant sa baguette à la Poufsouffle, elle crachait comme un chat sauvage.

- Osez à nouveau me provoquer, osez ne serait-ce que tenter de lever la main sur moi et je peux vous promettre que je ne me rassasierais pas d'un simple sortilège pour vous régler vos comptes.

Et le serpent blessé dans son orgueil de s’en retourner d’un pas aussi digne que possible après avoir tiré cette flèche du Parthe. Il était inutile de répondre, couper court au dialogue après une pique assassine était étudié exprès pour conserver un semblant d’honneur dans la défaite en empêchant l’adversaire de répliquer. Qu’elle aille donc recoller les morceaux brisés de sa superbe, Reva ne la retiendrait pas.

- Ce n’était pas une menace en l’air, dit-elle une fois la Serpentarde partie à la première année, tout en faisant jouer ses épaules et étirant ses bras pour en chasser la torpeur. Ce qu’elle ne dit pas, c’est qu’elle fera certainement tout ce qu’elle peut pour te mener la vie impossible, que tu la provoques ou non. Tu n’as aucune chance face à elle et elle le sait, alors ne tente rien. En cas de problème, parles-en à un professeur.

En référer à un adulte responsable était évidemment la plus sage des choses à faire, bien que la sixième année elle-même ait rarement appliqué ce concept. La grande faiblesse de cette méthode restait la sournoiserie de l’adversaire, et les relations parentales que ces petits lâches d’aristocrates ne manquaient pas de faire planer comme une épée de Damoclès au-dessus de l’administration.

- Au besoin, appelle-moi, ajouta donc l’Assamaise en se relevant. Demande Reva Rajan auprès d’un Gryffondor et dis-lui de quoi il retourne, ça devrait me parvenir.