Cette rentrée commençait sérieusement à le courir. A part en cours de Potions, tous ses professeurs lui avaient semblé fades et sans grand intérêts. Tous -ou presque- prônaient "l'ouverture d'esprit" et la "tolérance", vieux prétexte pour accepter des éléments médiocres et illégitimes dans ces lieux. Ainsi, il était forcé de côtoyer des sang-de-bourbe à chaque coin de couloirs, à toute heure de la journée... Son père était le premier à pester sur cette situation d'ailleurs. Heureusement qu'il pouvait compter sur les précieux alliés de sa maison.

Il s'ennuyait ferme en cet après-midi ensoleillé, mais il n'avait pas envie que Crabbe et Goyle le collent pour autant. Il voulait avoir la paix. Il était donc parti dans les jardins du château à la recherche de la petite Poufsouffle qui l'avait tant irrité au cours de Potions. La même Poufsouffle qui, par mégarde, avait failli s'asseoir à côté de lui en Défense Contre les Forces du Mal. Il lui avait bien fait regretter du reste! Son petit air candide était du pain béni pour lui. Elle semblait docile et sans défense. Tout ce qu'il aimait. Peut-être avait-elle eu la même idée que lui entre deux cours, et était partie faire une petite balade dans le parc?

Pourtant, il ne croisait personne de connu. Ni elle, ni Gemma, ni sa cousine Persei. Au bout d'un certain temps d'errance, son regard s'arrêta toutefois sur une élève dont la robe de sorcier affichait les couleurs de sa maison.

Il s'immobilisa, presque ébloui par la vision qui lui était offerte. La jeune fille -ou plutôt la jeune femme-, était assise sous un arbre et lisait, la mine concentrée et légèrement suffisante.

Elle était d'une beauté stupéfiante... Jamais une fille n'avait retenu son attention à ce point. Ses traits étaient fins, mais affirmés. Ses yeux étaient clairs, sa crinière sombre, et ses lèvres charnues... Son aura dégageait une assurance incroyable, et sa stature imposait un respect naturel. Il en était bouche bée.

Il ne se posa pas la question de son sang, ce qui était pourtant son premier réflexe avant d'aborder qui que ce soit. Il pensait tout naturellement que les couleurs de Serpentard arborées par la demoiselle parlaient d'elles-mêmes, et que la pureté qui en découlait était une évidence, parce que ça l'arrangeait bien. Et à vrai dire, il avait autre chose en tête.

Ca le démangeait d'aller lui parler, mais pour lui dire quoi? Au vu de ses charmes, elle était plus âgée que lui. Ca devait probablement être une quatrième ou une cinquième année, mais Drago était fier: c'était un Malefoy! Jamais il n'avait perdu sa contenance face à une fille. Alors que lui arrivait-il? Il était impressionné, et ce sentiment était tout nouveau...

Alors qu'il s'approchait d'elle, conquérant, pour tenter de l'aborder l'air de rien, il rebroussa chemin au dernier moment.

Il se sentait ridicule tout à coup, d'autant plus qu'il lui avait semblé que la jeune femme l'avait remarqué derrière son livre, et qu'elle avait même ri...

La jeune femme venait tout juste de l'inviter à se joindre à elle d'un ton à la fois moqueur et bienveillant. Il ne pouvait plus reculer...

Il se décida donc à approcher la mystérieuse verte et argent en bombant le torse, ce qui était plutôt drôle de la part d'un petit garçon de onze ans. Il s'évertuait à garder l'allure fière. Après tout, le poids de son nom le lui permettait bien.

Dissimulant à peine son trouble derrière un masque digne, il déglutit avant de poser son regard anthracite dans la prunelle de ses yeux verts clairs.

- Je m'appelle Drago, Drago Malefoy, lâcha-t-il solennellement en espérant qu'elle lui dirait son nom à son tour.

Il reprit aussitôt, faisant mine de s'intéresser à sa lecture pour engager la conversation l'air de rien.

- C'est bien ce que tu lis?

Le Serpentard n'était pas plus avancé sur son prénom. Pourtant, la bienséance voulait que deux individus d'une même caste se présentent convenablement... Il tiqua un bref instant avant de recevoir la réponse à son autre interrogation.

Ainsi, elle lisait Sophocle. Comment ne pas connaître ce sorcier reconnu de la Grèce antique? Bien qu'il ne l'avait jamais lu, il savait que quelques uns de ses manuscrits trainaient ça et là sur les étagères de l'immense bibliothèque du manoir.

- Ce n'est pas encore dans le programme, non, confirma-t-il.

Il était à la fois intimidé, interloqué, mais toujours muni de sa célèbre vanité. Puisqu'elle semblait éprise de culture, et que ce n'était pas ce qui manquait chez les Malefoy, il pensait l'impressionner en lui parlant de ses ressources.

- Au manoir on a plein d'éditions non parues de cet auteur, et d'autres aussi d'ailleurs. Chez nous tu serais comblée, reprit-il muni de son petit rictus.

Il s'installa sur le gazon à l'endroit même où il se tenait, face à elle, et, momentanément dans ses pensées, se mit à arracher quelques brins d'herbes.

Qui était elle? Ca l'arrangeait bien de penser qu'elle était de sang pur, tout comme lui, mais au fond il n'en savait rien. Il partait du principe que oui, et qu'elle avait probablement les mêmes réticences que lui au sujet de certains membres douteux de cet établissement.

- Tu aimes cette école, toi, ...? lui lança-t-il finalement en laissant volontairement un blanc à la fin de sa question, s'attendant à ce qu'elle le comble en dévoilant son identité.

Elle n'avait pas totalement tort quand elle disait qu'il n'était pas le plus heureux du monde en ces murs. Pour tout un tas de raisons invoquées par son père, il avait horreur d'être contraint d'étudier aux côtés de nés-moldus, ou simplement d'imbéciles. Et puis, à part Rogue, ses professeurs l'exaspéraient. Les Gryffondor l'exaspéraient.

Il décida toutefois de ne pas cracher sa haine dans la conversation. Il préférait éviter de crisper ses traits pour rester le plus gentleman possible; avenant, séduisant, totalement à son avantage. Au fond, il était d'accord avec elle d'une certaine façon. Il avait beau cracher sur Poudlard, il se sentait intimement plus libre loin de la pression exercée par son éducation, et ce n'était pas déplaisant. C'était à peine s'il pouvait se l'avouer.

Pourtant, il ne put s'empêcher de réagir lorsqu'elle mentionna la maison rivale.

- Gryffondor? Cette bande de losers?! Tu rigoles, jamais j'aurais pu atterrir là-bas! Chez les Malefoy c'est Serpentard depuis des générations! assura-t-il avec fierté.

Il prit un temps pour formuler sa pensée correctement sans passer pour un coléreux.

- Et c'est pas que je suis pas content, mais y'a des éléments ici qui ne sont pas dignes d'être là, comme la plupart des Gryffondor justement, tu vois? Après pour les cours, je dois dire que je suis bon en tout, se vanta-t-il, mais j'adore les Potions, je suis vraiment doué pour ça. Puis Rogue est un excellent professeur, c'est même ma matière préférée. Et toi? Qu'est-ce que tu aimes le plus ici?

Visiblement il avait abandonné l'idée de découvrir son prénom. Il était bien plus curieux de connaître son avis sur la question.

A son plus grand bonheur, la demoiselle partageait son goût pour les Potions, mais pas que. Elle semblait studieuse, comme lui. Compétitive, comme lui. Cérébrale, comme lui...

En plus, elle connaissait son nom et affirmait le respecter. Pour le jeune héritier c'était une évidence habituellement, mais dans ce cas précis il se sentait pousser des ailes. Elle avait employé le terme "admiration" à l'égard de sa famille. Il ne put s'empêcher d'étirer un large sourire de satisfaction.

Pourquoi fallait-il qu'elle ait quatre ans de plus? Sans la connaître plus que ça, elle semblait incarner l'image parfaite de l'épouse idéale à son rang. Belle, piquante, intelligente, et très certainement de sang-pur. Celle que ses parents souhaiteraient pour lui. Mais il ignorait qu'il était loin de tout connaître sur le passé de la jeune femme, parce que ça l'arrangeait bien de prendre pour acquis ses propres élucubrations pour la façonner selon son fantasme. A ses yeux, c'était la femme parfaite. Voilà tout. Celle qu'il n'aurait jamais -du moins pas à onze ans, et pas à Poudlard-, mais qu'il se plairait à draguouiller innocemment.

- Bon. Tu connais mon nom, c'est bien, mais tu vas me dire le tiens un de ces jours? osa-t-il en esquissant un sourire.

Sans surprise, elle éluda la question une fois de plus. Elle était joueuse, il aimait ça.

- Je te propose un deal, tu me dis ce que tu sais sur les familles de sang-pur qui sont originaires d'Ecosse, et en échange je te donnerai mon nom. C'est pour un devoir ne t'inquiète pas, négocia-t-elle.

Quelle curieuse requête... Etait-ce réellement pour un devoir sur le sujet? Poudlard remontait dans son estime dans ce cas. La jeune femme le sortit rapidement de ses interrogations en lui offrant un mutin baiser sur la joue avant de se sauver. Il n'y pensait plus. Il ne pensait plus à rien. Il souriait, comme un idiot.

Il avait donc une mission: secourir une demoiselle en détresse. Son père saurait bien quelque chose à propos des familles de sang-pur Ecossaises... Son enquête serait une bonne raison de retourner parler à la mystérieuse cinquième-année, et peut-être de récolter un autre baiser sur ses joues empourprées.

Avant de se lever à son tour pour vaquer à ses occupations, un bout de parchemin coincé dans les racines de l'arbre à côté de lui retint son attention. Sans vraiment comprendre pourquoi, il s'en saisit et le déplia. C'était la plume d'un élève anonyme qui y avait inscrit ses craintes, ses doutes, et ses démons...