Le repas avait été copieux. Les tables s'étaient écartées pour mettre en valeur l'étendue de la classieuse salle, et les Bizarr'Sister entamaient leur premier son endiablé. Pourtant, Drago n'avait pas l'âme à la fête. Pas le coeur à danser du moins. Il avait envie de parler à Fawley, parce quelle l'intriguait. D'un autre côté, il pesterait bien sur les sang-de-bourbe avec Persei, aussi, mais celle-ci s'affolait déjà avec celle qui l'avait trahi. Ca le rendait d'autant plus bougon. Au bout d'une danse, puis deux, puis trois à ruminer dans son coin, il se leva d'un bond et se dirigea d'un pas assuré vers sa lointaine cousine. Il irait voir Fawley plus tard. Sans lui demander son accord, il lui agrippa le bras sans prêter attention à Landre, puis l'attira dans un coin reculé de la salle, là où personne ne pourrait s'immiscer. Quelque chose lui échappait. Il voulait comprendre.

- Pourquoi ça te fait rien, toi?!

Percutant l'aspect trop vague de sa question, il apporta quelques précisions.

- Elle a traîné avec Granger!! Avec la sang-de-bourbe! Notre ennemie! Et pas que, elle s'est ALLIEE avec elle! Comme si elle jouait un double jeu... Elle nous l'a caché! Enfin à moi, elle me l'a caché, se corrigea-t-il. Tu savais, toi?! En tout cas je comprends mieux pourquoi elle voulait pas s'en prendre à Wiles...

Il avait l'air méfiant tout à coup. Puis il poursuivit sans attendre de réponse.

- Et elle traîne avec d'autres Gryffondor! Elle... il s'interrompit en regardant à droite à gauche, s'assurant que personne ne les espionnait, elle m'a fait croire qu'elle était différente, Persei, elle m'a MENTI, elle m'a toujours menti, depuis le début! Pourquoi ça te fait RIEN à toi? UNE SANG-DE-BOURBE.

Il voulait savoir pourquoi ces révélations n'avaient en rien altéré le jugement de sa sévère camarade aux convictions si tranchées. Que savait-elle qu'il ignorait? Il avait horreur qu'on le mette à l'écart. Persei était une précieuse référence à ses yeux puisqu'à priori, elle était comme lui. Il attendait de pied ferme ses explications. La situation lui échappait et il avait horreur de ça.

Et en plus elle se permettait de lui répondre avec insolence. A lui.

- Malefoy, je te prierais de me parler sur un autre ton. Moi ce que je comprends pas, c'est pourquoi toi tu lui en veux? Bof, après ça me regarde pas. Tu fais bien ce que tu veux.

- Attends. QUOI?! Toi, Persei, tu ne comprends pas pourquoi je lui en veux?! Mais... Mais je suis le seul être sensé qu'il reste à Serpentard? Le choixpeau s'est planté avec tout le monde ou quoi??! Pas TOI Persei!

Le blondinet se sentait démuni. Comme s'il était le seul à perpétrer les valeurs qu'on lui avait inculquées. La fillette, en constatant l'état désemparé de son allié, avait jugé nécessaire d'étoffer ses explications.

- Tu crois que ça me fait plaisir de savoir qu'elle fraternise avec l'ennemi? Tu m'as pris pour qui franchement? Pour le préfet poufsouffle? Franchement Malefoy, tu me déçois. Mais si tu veux tout savoir, je vais te le dire. Si je fais la gueule à Gemma, je suis toute seule. Oh, désolée, je t'ai toi. Mais à quel moment on est assez proches pour dire qu'on est amis? On est cousins, on s'est même pas parlés plus que ça. Et toi, même si tu les aime pas, t'as tes gardes du corps stupides, Crabbe et Goyle. Et puis t'as Zabini aussi, alors bon.

Il n'en croyait pas ses oreilles. Ainsi elle ravalait sa fierté pour... Ne pas rester seule? Il savait Persei extrêmement digne et vaniteuse, et entendre cet aveu de sa propre bouche le situait à une place presque toute privilégiée. D'égal à égal, il pouvait en faire autant, et jouer cartes sur table. D'autant plus qu'elle les surestimait ses relations! Et il se sentait presque offensé que son statut soit remis en cause. C'était vrai, ils n'avaient pas passé tant de temps que ça ensemble, mais eux-deux, c'était une évidence. Il le sentait. Elle était comme lui, de la même veine, littéralement.

- Parce que tu crois que Crabbe et Goyle sont des alliés à ma hauteur? Je vais pas me vanter, Persei, hein, dit-il en insistant bien sur son prénom pour une fois, mais j'ai besoin de gens comme Zabini et toi qui ont les valeurs, le cerveau et... tout le reste.

Il n'osait pas dire qu'il s'identifiait mieux à eux, se sentait plus proche, à un stade plus... amical. C'était le genre de mot qu'il se défendait d'employer, mais pour un petit garçon de 11 ans il était pourtant bien naturel. En perdant Gemma, lui non plus n'avait plus grand chose. C'était dur de l'admettre, mais son exigence le muselait.

- D'ailleurs Zabini contrairement à ce que tu crois je le connais peu pour l'instant. Je compte y remédier mais pour ça, j'aurais... il hésita à lâcher le mot ...besoin de toi.

Persei lui avait tendu une perche, et tout fiérot qu'il était, il n'attendait que ça de se rapprocher de sa lointaine cousine Black.

Elle commençait à le courir. Le problème : ils étaient trop similaires. Ca ne pouvait que faire des étincelles. La fillette capricieuse face à lui l'encourageait à se comporter de la même façon. Plus elle pestait, plus il se braquait. Elle lui parlait mal. Clairement. Et peu de gens lui tenaient tête de la sorte. Sûrement un truc irritant de famille, ça.

- Pourquoi besoin de moi? Je vois pas vraiment où tu veux en venir...

Elle le faisait exprès ou quoi? Il avait baissé sa garde un quart de seconde qu'elle faisait déjà la princesse écervelée qui faisait semblant de ne rien comprendre. Ma parole! Il en était bouche bée. Soit elle refusait ses "avances", soit elle cherchait à être suppliée. Mais ça, il en était HORS DE QUESTION.

- Je... Oh!! Eh puis laisse tomber, Black!! dit-il en croisant les bras à son tour.

La scène était passablement ridicule. Les deux se défiaient du regard comme des petits êtres susceptibles attendant d'être appelés. Ils se boudaient. C'était à celui qui briserait le silence en premier.

Sans même pouvoir l'anticiper, la situation avait totalement dégénéré...

- Parfait Malefoy. Si t'as pas envie de répondre à ma question, c'est pas bien compliqué, je vais retourner vers cette "traitresse" qui est mon amie. Elle au moins elle répond à mes questions, oh pardon, ce n'est pas ton cas, avait-elle dit en sortant de ses gonds.

Mais elle était malade ou quoi?! C'était pas une question qu'elle avait posé, c'était l'exigence d'une révérence, oui! Il en avait déjà fait bien assez, et il ne se pliait pour personne! Surtout pas quand on lui manquait de respect de cette façon!

Mais ce n'était pas fini. Voilà que pour la toute première fois, elle se montrait mauvaise. Envers lui. Elle déformait totalement ses propos. Il avait baissé sa garde, et elle l'avait pris comme une attaque. C'était insensé. Elle le poussait carrément contre le mur avec une violence inouïe et totalement injustifiée. Pourtant il était loin d'être un ennemi... jusqu'à maintenant.

"...Ecoute moi bien Malefoy, j'suis pas comme les numéros du sorcier inconnu, on m'oublie pas et on me jette pas comme ça. Alors je te laisse une dernière chance, répond à ma foutue question ou alors je me casse. Pourquoi t'as besoin de moi?"

Il avait été surpris tout le long de son dégueulis de mots, mais il se reprit bien vite et la poussa à son tour, fou de rage.

- T'es cinglée, Black!! Complètement cinglée!! - il hurlait à présent - Tu croyais que c'était pour faire des claquettes en lévitation?!! Non!! C'était pour compter parmi les gens qui... parmi les gens qui ont une place plus privilégiée dans, dans... - impossible de le dire, ça ne sortait pas, et encore moins maintenant après tout ça -  ...et puis on s'en fout Black c'était une erreur!! Je me suis planté t'es une grande malade!! LAISSE TOMBER!!

Ils commençaient à attirer l'attention de la foule sur eux en plus, si ça continuait, des professeurs leur enlèverait des points. Il avait déjà assez de problème comme ça... Cette situation l'exaspérait. Il ne s'attendait définitivement pas à ça. Confus, nerveux, et profondément irrité, il tourna les talons pour tenter de se calmer loin de cette furie qu'il appréhendait pour la première fois.

Il avait cru déceler une micro-expression particulière sur le visage de Persei en l'accablant de ces mots dévastateurs : "Malade", "Cinglée"...  Pour lui ces insultes étaient anecdotiques, mais bizarrement elles semblaient avoir une toute autre signification pour la fillette. Ou peut-être avait-il rêvé... C'était bien difficile de faire le tri dans cette fougue mutuelle. Chacun était piégé avec ses démons, coincé par son égo, bloqué dans une impasse.

Avant qu'il ne tourne les talons, elle avait tenu à ponctuer ses dires d'une voix furtivement mal assurée, avant de se reprendre avec panache : "Très bien Malefoy. On est au moins d'accord sur une chose : c'était une erreur."

C'est donc à ce moment là qu'il se décida à partir. Pourtant, quelque chose clochait. Jusque là, il n'avait jamais eu aucun problème avec sa cousine. Jamais. Ils avaient comploté ensemble, martyrisé la petite Geignarde dans les toilettes des filles et avaient bien ri, s'étaient moqués de leurs professeurs, complices, et tout laissait présager une entente fluide et naturelle. Pourtant, la situation s'était dégradée en cinq minutes ce soir là. Peut-être étaient-ils trop semblables, trop proches d'un seul coup? Drago était incapable d'analyser tout cela. Tout ce qu'il savait, c'était que quelque chose clochait. Qu'il ne pouvait pas simplement partir et se dire que Persei serait son adversaire désormais. Ca n'avait pas de sens : pourquoi?! Comment cela avait-il pu évoluer ainsi? Il n'y comprenait rien. C'était absurde.

Il sentit alors un violent coup s'acharner sur son épaule.

- Aïe !!

Il croisa le regard de sa cousine. Un regard étrange, et contradictoire. Entre ressentiment, déception, tristesse et colère. Elle avait visiblement emprunté la même direction que lui. Subtile...

Il commençait à avoir des remords. Oui, Drago Malefoy avoir des remords. Il ne voulait pas avoir Persei à dos. Il la voulait à ses côtés. Tout avait capoté... Mais lorsqu'il l'entendit s'adresser aux badauds, il ne put s'empêcher de ricaner sans retenue. Elle avait toujours le mot pour le détendre, même dans une situation qui les opposait. C'était fou.

- Quoi ? Qu'est-ce que vous avez ? Vous avez jamais vu deux gens qui se regardent ? Bande de débiles arriérés, leur avait-elle lancé.

- Retourne t'empiffrer de chocogrenouilles, sale mioche, le buffet pour les gros lards c'est de l'autre côté ! s'empressa-t-il de rajouter à l'un d'eux.

Aberrant... On pouvait même plus se chamailler tranquilles... Il se tourna vers elle, partiellement calmé par cet affront impromptu.

- Le coup d'épaule c'était pas indispensable... avança-t-il.

Elle s'était empressée de répondre à sa remarque entre deux insultes aux voyeurs de la soirée.

- Complètement d'accord, c'était pas nécessaire mais t'as pas idée à quel point ça m'a fait du bien! lui avait-elle répondu sur le même ton décalé.

Il secoua la tête en fronçant les sourcils. Visiblement, leur véhémence n'avait pas suffit à faire fuir les troupes. Ils devaient être bien fascinants pour qu'ils restent plantés là, à les regarder bêtement. Au fond, cela le fit sourire. Non seulement il se plaisait à penser qu'avec Persei, ils leur offraient un tableau de prestige qu'ils n'égaleraient jamais, mais qu'en plus c'était eux contre tous. Il n'y avait pas de meilleure issue possible. Elle en rajouta une couche de son si particulier verbe acide.

- Eh, la gazette du sorcier, avant de faire un article sur notre sublime prestance, si vous alliez faire un article sur le stupide préfet des poufsouffles, vous sauriez qu'il est loin d'être fait pour son rôle!

En l'entendant évoquer le sang-de-bourbe, il ne put s'empêcher de ricaner une fois de plus. Il le haïssait pleinement, mais ça avait le mérite de lui rappeler son rôle dans les évènements récents. Parfois, il était peut-être envisageable de pactiser avec l'ennemi, pour assurer ses arrières. Dans de rares cas. Quand cela était... nécessaire.

- Ouais justement, à propos de lui, entama-t-il en plissant ses petits yeux remplis d'éclairs, puis il s'interrompit en voyant deux gus qui étaient toujours plantés là, à les scruter comme des poissons hors de l'eau, et n'avaient manifestement pas saisi le message. Il s'approcha d'eux en bombant le torse, inspecta leur blason jaune et noir sur leur manche, et les scanna comme des insectes : Z'avez pas entendu?! Avec une maison comme la vôtre, normal qu'il vous manque un cerveau. Toi, tu baves. Ferme la bouche. Trouve-toi une moche pour aller danser. BOUH! attaqua-t-il finalement pour leur faire peur. Les deux garçons étaient plus petits que lui, et apparemment impressionnables. Sans surprise, ils avaient filé loin. Très loin. Drago en était enorgueilli.

- Donc, reprit-il en se retournant vers sa cousine. J'aimerais parler avec toi de l'affaire du Sorcier aux ragots là. Je me demande si on ne devrait pas envisager de réunir toutes nos forces pour le démasquer. Sérieusement.

Il comptait développer un peu plus, mais d'abord il guettait la réaction de sa cousine Il n'en avait jamais parlé avec elle, et il lui semblait qu'elle avait pourtant été sa cible dans la première édition.

Persei semblait bizarrement dubitative suite à sa suggestion. Elle, pourtant si acharnée d'habitude, émettait subitement des réserves.

- Tu crois vraiment que c'est une bonne idée de se mêler de ses affaires? Je veux dire il a quand même de quoi nous humilier non?

Il arqua un sourcil.

- Honnêtement, je vois pas ce qu'il pourrait dire de plus sur moi. Il a usé toutes ses cartouches. Et pour toi... J'ai beau me creuser je vois pas non plus.

Elle secoua la tête et poursuivit.

- Non finalement, c'est une super idée! Je ne veux pas rester sur une défaite! Et puis bon, ce sorcier inconnu, il a foutu la mouise partout!

Voilà qu'elle était particulièrement enthousiaste tout à coup... Boarf. Après tout, sa cousine était sanguine et impulsive. Passer du coq à l'âne de la sorte l'avait certes un peu surpris au départ, mais il se contenta de balayer cette bizarrerie d'un haussement d'épaules. Elle était partante, c'était le principal.

- Parfait, alors! J'ai une petite idée, mais elle n'est pas vraiment aboutie... On sait que c'est un élève de cette école. Enfin, je doute que ce soit un prof. J'aimerais le rencontrer. Pour ça, il faudrait qu'on le fasse chanter, qu'on ait quelque chose sur lui qui le pousse à se montrer, ou au contraire que je demande carrément à me joindre à lui. Il aurait le droit de venir masqué à notre rencontre, mais l'idée c'est que j'aie la possibilité de lui poser une ou deux questions de vive voix. Même si on le coince pas, ça nous donnera au moins des indices, enfin je suppose...

Le blondinet avait émis une idée comme ça, mais il savait que rien de probant n'était encore sur pied. Pour ça, il comptait sur l'esprit tordu de sa cousine... Peut-être l'avait-il inspirée?

Décidément, Persei s'obstinait à ne pas comprendre en opérant de grands gestes avec frénésie. Il fronçait les sourcils tandis qu'elle lui proposait des arguments très contestables.

- On n'a pas d'adresse? Je te rappelle que cet imbécile nous a expressément dit que sa volière nous était ouverte pour lui raconter des potins, et s'il m'avait pas autant visé, je me serais fait plaisir, tu vois. Du coup j'ai pas été vérifier mais je suis sûûûûr qu'il a un casier ou quelque chose. Et, ouais, il sait tout... Sur ce point t'as pas tort. C'est bizarre d'ailleurs. Ca veut p'têtre dire qu'il a des complices, en dehors des élèves qui lui envoient des trucs, je veux dire. Regarde, dès le départ, à la première édition, il savait déjà tout. Bizarre... dit-il le regard ailleurs.

Il l'écouta ensuite émettre son opposition plus globale, comme quoi sa méthode balancée à la hâte n'était pas la meilleure. De son point de vue, c'était surtout une idée pour faire avancer le débat... Et quand elle lui proposa de s'allier avec d'autres élèves, il ne tiqua même pas. D'un hochement de tête concentré, il prit sa suite.

- Ouais. Ca me fait vraiment mal de l'admettre, mais j'y pense depuis la première parution, en fait. Je me tâtais, mais puisque t'en parles, c'est l'occasion d'y aller vraiment. Je déteste cet idiot de sang de bourbe de Truman de mes deux et sa cour, tu vois, mais cette histoire l'a vraiment foutu en rogne lui aussi. On pourrait peut-être l'utiliser, et.. beurk... "allier" nos forces. Faut être stratégique. Je veux plus être lié à ce faux-jeton d'Atticus non plus, mais elle est préfète et visée aussi... Ca peut être un bon élément. On a un ennemi commun et c'est ça le plus important, je crois. Du moins, pour l'instant.

C'était suffisamment dur pour lui de ravaler sa fierté pour pactiser avec l'ennemi, mais les insultes qu'on lui proférait de manière quasi hebdomadaire commençaient à le courir sérieusement.

Il attendit la réponse de sa cousine puis, les regards curieux se faisant particulièrement insistants, lui proposa de rejoindre le coeur de la fête.

Ce ne serait que le début d'une savante machinerie.