Peu de personnes avaient la chance de rencontrer l'un de leurs ancêtres décédés des centaines d'années auparavant, mais c'était le cas de Gemma. Celle-ci était face au fondateur de sa maison, qui avait également été l'un des piliers de la dynastie de sa mère. C'était une chose bien étrange que de se dire qu'on avait devant sois une personne morte depuis tant de temps. Cela n'avait absolument rien à voir avec le fait d'être confronté à Binns, qui bien qu'horriblement ennuyeux, agissait comme un vivant. Il n'y avait pas le même côté solennel ou exceptionnel, presque majestueux.
C'était sans crainte mais avec une certaine appréhension qu'elle avait avancé jusqu'à l'antichambre. Elle était incapable de décrire avec exactitude ce qu'elle allait trouver, elle ne faisait qu'imaginer. La première chose qui la saisit fut une odeur de vieux parchemin, de ceux interdits qui recueillaient les plus horribles secrets. Ceux qui reflétaient un danger certain et attirant. Ceux que l'on ne pouvait atteindre tout en les désirant.
En suite, Lui. Indescriptible.
« - Bonjour, le salua la petite Landre.
Son cœur battait à tout rompre, tambourinant frénétiquement contre sa poitrine. Le rythme effréné de sa danse soulevait son torse en une chorégraphie irrégulière. L'organe semblait vouloir s'échapper de sa cage, s'évader pour reprendre son souffle, comme si ses pas l'entraînaient toujours plus.
Alors qu'elle était incroyablement intimidée, elle se tenait droite et fière, maintenant son masque d'impassibilité. Elle n'avait aucune envie de se montrer vulnérable à ce moment, bien au contraire. Il fallait qu'elle reste digne. C'était primordial devant un être pareil si elle ne voulait pas se faire écraser par tant de superbe.
Celui-ci ne prit pas la peine de lui répondre, se contentant de la juger du regard. Il ne s'en cacha pas, n’essayant pas de dissimuler son observation. Il n'en avait nullement besoin. La fillette aurait aimé être comme lui, n'avoir rien à prouver, que tous maintiennent une crainte et un respect certains à son égard même si elle n'agissait pas comme il le fallait. Cette emprise, cependant, n'était pas innée, il fallait l'acquérir. Elle était décidée à faire en sorte de l'obtenir à son tour un jour.
Serpentard était impressionnant, et elle comprenait mieux en quoi elle devait être fière de ses origines. Un aura de pouvoir émanait de lui. Une force pompeuse qui emplissait l'espace, à la limite du matériel tant elle se faisait présente. Elle pouvait presque la sentir flotter, frôler son corps et effleurer sa chevelure. Une certaine noirceur entachait sa pureté d'antan, une ombre obscure qui avait drapé l'immaculé magie tandis qu'il en avait usé.
Elle se devait de poser sa question, sans oser ouvrir la bouche. Mille interrogations se bousculaient dans son esprit, et elle se retrouvait dans l'incapacité d'en choisir une. Les mots courraient et se confondaient, jouant malicieusement à se mélanger et se disloquer. Comme s'ils voulaient rendre sa tâche plus ardue encore. Leur prolifération envahissait l'habitacle de son crâne, l'empêchant de se concentrer. Certains descendaient le long de sa nuque, glissant jusqu'à l'intérieur de sa gorge pour venir se poser sur le bout de sa langue. Acerbes, ils lui chuchotaient de les laisser s'évader, lui promettant des réponses toujours plus intéressantes. Elle résistait à la tentation, gardant ses lèvres obstinément scellées.
Comment être aussi puissant ? Pourquoi avoir voulu bâtir cette école ? Demander des qualités précises pour entrer dans une maison ? Comment avoir élevé un basilic ? Comment vivait-il son don de Fourchelang ? Quelle était la vie de famille d'un homme comme lui ? Quelques bribes parmi un océan profond. Les navires s'y noyaient, engloutis par les flots éternels. Seul une frêle embarcation réussissait à se maintenir hors de l'eau.
La petite phrase qui lui paraissait avoir le plus de sens en l'instant n'était aucune de celles citées. Mais avec tous les événements et remise en question qu'elle était en train de connaître, c'était ce qui lui semblait le plus censé. Elle voulait, avait besoin même, de comprendre.
- Pourquoi détester autant les moldus ?
Elle avait toujours vu son père avoir cette attitude, les haïr, les maudire même, mais jamais réellement lui expliquer pourquoi. Il se contentait de les rabaisser pour de multiples raisons, de la plus fondée à la plus futile. Peut-importe, il voulait juste cracher son venin sans prendre la peine de faire comprendre pourquoi à sa fille.
C'était elle qui avait dû se trouver des raisons logiques quand elle avait été en âge de le faire, sans y parvenir le moins du monde. Elle avait traversé une période de doute durant laquelle toutes ses convictions s'étaient effondrées. Les ruines de ses idéaux déchus, elle les gardait comme une relique qui continuait à vivre malgré elle sans qu'elle ne s'aperçoive. Discrètement, ils s'accrochaient, affluant dans le fleuve qui l'irriguait sans se faire remarquer.
Les yeux du mage s'emplirent d'un profond mépris. Sa voix, elle, était hautaine et étonnamment vive.Il posait ses paroles avec force, déterminé et sûr de lui.
- Les moldus et nous, nous ne sommes pas du même monde, pas de la même race, n'avons pas la même valeur. Ils ne sont que des animaux comparé à nous, des bêtes qu'il nous faut dompter et dominer comme eux-même le font. C'est une véritable hérésie de vouloir nous obliger à cohabiter avec eux : les forçons-nous à vivre avec leurs chiens ou chevaux comme s'ils étaient leurs contemporains ? Non, et de la même manière, nous n'avons pas à nous mélanger à eux. Ceux qui le font sont des faibles qui les prennent en pitié ou se cache la vérité sur leur cas. Comment être un sorcier respectable quand on se mêle à une populace qui ne nous fera que régresser ?
Nous sommes des êtres magiques, quand ils sont ordinaires et inférieurs. Peut-être ont-ils une enveloppe charnelle comparable à la nôtre, mais c'est bien là notre seule similitude. Cette apparence trompeuse est négligeable pour ceux qui possèdent un minimum de perspicacité. Ce qui nous compose intérieurement est fondamentalement différent. Nous sommes nobles et fiers, eux de simples asticots rampants dans la poussière. Voilà pourquoi je les déteste, ils m’écœure et sont pathétiques. Il faudrait être stupide et aveugle pour ne pas le constater. Cette sale vermine … Si elle disparaissait nous ne serions plus obligés de nous cacher pour leur seul bon plaisir.
Une chose encore plus affreuse que les moldus, ce sont les « sorciers », si on peut encore les nommer ainsi, qui veulent que nous les considérions comme nos égaux. C'était le cas de Godric, Helga et Rowena. Ils ne voyaient pas que souiller notre sang, c'était régresser, et qu'essayer d''éduquer cette sous-race était inutile. Une simple perte de temps que nous pourrions consacrer à des élèves qui le méritent.
Il y a aussi les sangs-de-bourbe, cette abomination … Aucune magie ne coule dans leurs corps, ils ne devraient même pas exister. C'est pourquoi ces monstres devraient être exterminer, ils sont indignes de pratiquer ce merveilleux don qui se transmet de génération en génération. Celles-ci aussi sont de plus en plus entachés par de sales traître à leur sang incapable d'apprécier leur pureté. Ils la détruisent en la partageant avec des êtres qui ne la méritent pas. Ces pauvres écervelés ... »
On pouvait sentir une rage rancunière bouillonner en lui. C'était une volonté sourde de destruction qu'ilsemblait tempérer, mais tout n'était qu’apparence. Nul ne connaissait les sombres pensées qui habitaient les méandres de son intellect. Ce labyrinthe tortueux était bien trop complexe pour le commun des vivants.
La brunette avait bu ses paroles qui l'avaient touchées plus qu'elle n'acceptait de l'avouer ou même de le réaliser. Elle ne se rendait pas compte que cela ébranlait une fois encore tout ce en quoi elle croyait. Toujours aussi silencieuses, les fondations meurtries qui existaient à travers elle se reformaient, sans bruit de lourdes pierres venaient les solidifier. Dans la destruction, les ruines se réveillaient, ranimant le passé. Son présent était confus, son futur impénétrable. Elle ne savait plus quoi faire, quoi penser. Toute cette souffrance, cette douleur … C'était si dur, intolérable pour cette petite fille encore si jeune.
Un mensonge plus facile à accepter que la vérité tuait les espoirs d'une utopique Gemma pour ressusciter celle qu'elle se devait d'être. Celle qui cesserait peut-être de la faire souffrir.