Derviche & Bang. Des années qu'elle n'y avait pas mis les pieds. Ça faisait quoi, 30 ans? Pourtant, la boutique n'avait que peu changé. Bien sûr, les rayonnages étaient pourvus d'articles au goût du jour, et les balais vendus à l'époque de Lilian feraient pâle figure à côté des prototypes flambants neufs accrochés au mur. Comète 360. Nimbus 2000. Moldus comme Sorciers, le goût de la vitesse les faisait se surpasser en terme d'innovation technologique. *Si seulement c'était aussi le cas en terme de justice et d'équité...*

L'odeur mêlée de bois et de poussière la ramenait des années en arrière. Traîner devant tous les accessoires de Quidditch en attendant d'avoir la somme suffisante pour se les procurer. Compter chaque centime jusqu'à pouvoir, victorieusement, déposer la somme requise sur le comptoir et repartir avec le balais neuf, soigneusement enveloppé dans du papier.

Lilian vérifia l'heure à sa montre d'argent. Elle disposait d'un peu de temps avant de rejoindre Céleste, sa fille. Cette dernière ne terminait son service que dans une trentaine de minutes. Largement de quoi savourer ce petit retour dans le passé que lui offrait Derviche & Bang.

Elle évolua quelques instants parmi les rayons, et finit par s'arrêter au rayon des balles. Un kit d'entraînement dernier cri était mis en valeur sur une étagère. Les souaffles et cognards semblaient avoir été astiqués avec soin. Du bout du doigt, Lilian caressa la surface incurvée du souaffle rouge, avant de reporter son attention sur ce qui avait été ses balles favorites. Jumelles, comme ses filles. Les cognards.

Un crissement sur sa droite la fit se détourner. Contrairement à ce qu'elle croyait, elle n'était pas seule dans la boutique. Une jeune Sorcière, 15 ou 16 ans, à vue de nez, semblait prêter, elle aussi, une attention accrue aux articles de sport. Son look détonnait: cheveux aux mèches colorées, maquillage déjanté. Mais ce qui attira l'attention de Lilian, ce fut la batte que la jeune fille arborait, négligemment posée sur son épaule. Amusée, Brockenbridge interpella sa voisine.

-Batteuse? Dans quelle équipe?

La jeune fille ne semblait pas déstabilisée par l'entrée en matière, plutôt brute, de Lilian. D'ailleurs elle ne regarda même pas son interlocutrice pour répondre, apparemment absorbée par la contemplation d'une des battes en rayon.

-La seule qui vaut le coup.

Elle tourna la tête avec lenteur vers Lilian avant de poursuivre.

-Gryffondor. Vous avez aussi joué à Poudlard?

L'Auror-en-chef répondit à son sourire carnassier par un petit rire.

-Oui. Pareil. Dans la seule qui vaut le coup.

Penser à ses années comme capitaine de l'équipe des Griffondors lui faisait chaud au cœur. Elle avait souvent regretté d'avoir laissé tomber le Quidditch si tôt. Enfin, inutile de revenir sur le passé. Des choix avaient été faits et elle n'en serait peut-être pas arrivée là si elle avait poursuivi son rêve de devenir joueuse professionnel. Elle ne serait probablement pas devenue Auror, n'aurait pas rencontré Sullivan, n'aurait peut-être pas eu la chance de voir grandir ses filles...

-Qu'est-ce que ça donne cette saison? Les Lions dominent toujours?

Elle n'avait pas assisté à un match à Poudlard depuis la fin de sa scolarité. Mais de son temps, bien que composées d'amateur, les équipes de l'école jouaient à un niveau tout à fait honorable. Et la compétition entre les Maisons rendaient les rendez-vous sur le terrain d'autant plus intéressants.

Lilian s'approcha de l'étudiante en la considérant attentivement. Quelque part, elle lui rappelait la jeune Sorcière qu'elle avait été au même âge. Elle n'aurait jamais arboré le même look, non. Mais elle avait, elle aussi, dégagé la même assurance, de l'insolence presque, le même appétit de vivre.

La batte qui fascinait sa jeune interlocutrice était en aluminium. Un matériau à la fois léger et solide.

-C'est vrai qu'elle en jette, dit-elle en désignant l'accessoire d'un mouvement de tête.

Elle se baissa pour en lire le prix et laissa échapper une exclamation.

-Cinq Gallions! Par Merlin... Et bien on peut dire que les prix ont augmenté...

-Waouw ! Trop cool ! Vous étiez à quel poste ? C'est comment votre nom ?

L'enthousiasme de la batteuse prit Lilian par surprise et elle éclata de rire.

-Comme vous! En charge des cognards aussi. Et j'ai été capitaine aussi, ça remonte à un bon bout de temps! Bon sang, qu'est-ce que j'aimais ça...

Elle tendit sa main à la Griffondor et se présenta.

-Brockenbridge, enchantée.

À sa question sur l'équipe des Rouge et Or, la jeune fille, toujours en mâchouillant son chewing-gum, répondit avec morgue.

-Bien sûr, qu'on domine ! Forcément, on est les meilleurs !

-Avec un tel dynamisme, rien d'étonnant. Contente de voir que la relève est assurée! Et une carrière professionnelle, ça vous plairait?

Curieuse, Lilian écouta la réponse. Décidément, la jeune femme avait une personnalité flamboyante et ne manquait pas d'intérêt. De quoi claquer le bec de tous les vieux ronchons qui répétaient à qui voulait l'entendre que la nouvelle génération se complaisait dans la mollesse et l'ennui.

La punkette semblait elle aussi trouver que le prix de la batte était élevée. Sans doute trop pour le porte-monnaie d'une élève...
-Oui, 5 Gallions pour fracasser le crâne à ses ennem... adversaires.

Lilian eut un petit ricanement en entendant le magnifique lapsus de la batteuse. Décidément, cette gamine lui plaisait. Suivant une inspiration subite, Lilian fouilla le contenu de ses poches. 3 Gallions. Elle se fustigea de n'avoir pas pensé à prendre plus de liquidités. Rigoureuse sur plein d'autres aspects, elle était relativement étourdie concernant le contenu de sa bourse. Et elle avait horreur de se rendre à Gringotts. *Bon, et bien, je demanderai à Céleste de m'avancer un peu de monnaie...*

-Tenez, dit-elle en tendant les pièces à la jeune fille. C'est pas grand chose. Ça ne couvre pas le prix de la batte. Mais c'est un début.

-Merci madame, c'est... vraiment gentil de votre part. Mais... pourquoi ?, bredouilla Prewett, visiblement interloquée par le don de Lilian.

Voulant mettre à l'aise la jeune fille, Brockenbridge haussa les épaules.

-Vous n'avez qu'à voir ça comme un genre de mécénat. Sait-on jamais, quand vous serez devenue une joueuse célèbre, je pourrais me réjouir d'y avoir très modestement contribué! Et puis j'avoue que ça me plaît de contribuer à ce que les Gryffondors écrasent leurs... adversaires, termina-t-elle avec un clin d’œil.

Le jour commençait à se coucher et la lumière naturelle déclinant peu à peu rappela à Lilian qu'elle ne devait pas tarder à se mettre en route. Elle ne voulait pas faire attendre Céleste, d'autant plus que c'était elle qui avait insisté pour qu'elles se voient...

-Je vais devoir y aller.

Elle détailla une nouvelle fois l'étudiante.

-Vous savez... C'est vrai que c'est encore loin tout ça, mais si finalement vous ne vous lancez pas dans une carrière sportive, vous pourriez envisager de devenir Auror. Je ne vous connais pas, mais mes premières intuitions me trompent rarement. Ça fait aussi partie de mon travail. C'est vrai que ça demande pas mal de discipline, mais ça ne fait pas tout. L'audace, la combativité et une bonne résistance physique aussi, et ça, à première vue, j'ai l'impression que vous n'en manquez pas.

Lilian attrapa son porte-feuille dans une de ses poches et en sortit un petit bristol qu'elle tendit à la Gryffondor.


-Je vous laisse ma carte, si un jour vous vous posez des questions sur le métier. Peut-être serais-je toujours en poste... L'avenir le dira!

Une nouvelle fois, elle tendit la main à June.

-J'ai été ravie de vous rencontrer, Miss Prewett. Bonne soirée à vous. Et bonne chance pour la saison!

Sur ces mots, Lilian resserra les pans de sa cape autour d'elle, et sortit dans la Grande Rue de Pré-Au-Lard. Sa rencontre avec June la confortait dans l'idée qu'il était temps de remanier l'équipe d'Aurors dont elle avait la charge. Le département avait besoin de sang neuf. Le temps était venu de lancer une campagne de recrutement.