Lou buvait les paroles du professeur Rogue en cet après-midi de printemps. Il ne représentait pas exactement la figure du professeur modèle mais il fallait admettre qu'il apparaissait extrêmement compétent dans son domaine. Elle ne s'en lassait pas. La jeune fille n'avait pas perdu le nord : les potions n'étant pas une matière dans laquelle elle excellait particulièrement, il lui avait fallu redoubler d'efforts pour tenter de surpasser son niveau tout à fait acceptable sans être brillant, et aujourd'hui elle s'avouait partiellement satisfaite. Bon, ce n'était pas encore le summum du succès mais elle devançait toujours la moyenne de sa classe et s'en contentait.

Ainsi, la petite Perkins avait bûché comme un diable parce que c'était sa nature, mais aussi parce qu'elle avait besoin de penser à autre chose qu'aux frivolités usuelles. Le départ de Truman lui avait fichu un sacré coup. Non mais, partir à Mahoutokoro pour une formation de Quidditch... Y'avait que lui pour faire un coup pareil ! Heureusement qu'elle pouvait compter sur quelques rares loustics pour la sortir de son quotidien bordé de livres poussiéreux. Pourtant, elle les avait évités comme la peste ces temps-ci. En réalité, la brunette avait préféré s'isoler après le bal de la Saint-Valentin, comme si la découverte d'émotions jusqu'à présent inexplorées l'avait tourneboulée. Lou avait horreur de se sentir désorientée. Contre ça, un seul remède : le travail. Travail qu'elle avait à son sens trop délaissé et dans lequel il lui semblait préférable de se réfugier. Pour fuir quoi ? Comme si elle se posait la question !

Le cours s'acheva dans un soupir de soulagement général, à sa grande surprise puisqu'elle faisait partie des rares qui l'appréciaient. Que faire maintenant ? Zoner. Comme toujours. Retourner dans la tour. Chercher les bons livres. Echapper à la crétinerie ambiante. Etudier, peut-être. Ou pas. La platitude de ses plans furent bien vite interrompus par la venue d'une fusée d'un hibou. Celui-ci lui balança un parchemin à la figure sans ménagement. La Serdaigle bougonna. Pas moyen d'être tranquille ! Elle s'arrêta tout net pour observer le papier négligemment enroulé. Et si c'était Tokyo ? Ils ne s'étaient que peu reparlés depuis le fameux bal de février, probablement par sa faute. Elle s'était montrée bien distante... Etait-elle lâche ? Avait-elle peur ? Argh. Tous ces questionnements ne lui revenaient pas. Elle ne les comprenait pas. D'habitude, elle était au dessus de toutes ces bêtises et voilà qu'elle agissait comme l'une de ces midinettes dont elle aimait se moquer, le coeur battant à l'idée de lire les mots potentiels de ce garçon qui avait réveillé quelque chose d'inconnu en elle. Lui en voulait-il de s'être évaporée ?

" Chère Lou,
Tu seras surement étonnée de recevoir une lettre d'un sombre inconnu [...] "

Ah. Ben non. Tant pis, ou tant mieux... Elle attendit d'arriver à sa salle commune pour examiner tout cela de plus prêt.

Apparemment, un Poufsouffle demandait à la voir pour une mystérieuse raison. La jeune fille fronçait les sourcils à mesure que sa lecture défilait. Pas si mystérieuse que ça comme raison: on voulait lui causer de Tokyo Parker. Elle sentit un bond terrasser sa poitrine. Mais enfin, pourquoi ?!

" [...] Si tu n'as pas encore totalement déchiré ce parchemin, pourrais-tu me rejoindre en fin d'après-midi, aux alentours de 18h dans le parc ? Je serai assis sur le deuxième banc à droite du Lac. Je serai surement en train de lire. "

Ce dernier paragraphe lui arracha un sourire. Décidément, rencontrer des Poufsouffles plongés dans des livres dans le parc du château devenait son passe-temps favori de l'année !

L'élève s'attarda ensuite sur la signature. Luka Oz, un sixième année apparemment. Il lui disait bien quelque chose, oui. Elle l'avait croisé à plusieurs reprises dans les couloirs et sa réputation le précédait. On disait de lui qu'il était arrogant envers certains professeurs et, pour tout avouer, Lou trouvait l'arrogance parfois nécessaire et honorable. Ce même trait de caractère lui faisait défaut de temps à autres, alors comment l'en blâmer ? Lorsqu'elle avait eu vent de son altercation avec le professeur Rogue, elle n'avait pu s'empêcher de pouffer. Ca lui avait rappelé sa propre mésaventure. Un chouette souvenir ! Et pour le reste des racontars, de toute façon Lou ne portait pas vraiment attention aux rumeurs. Elle se ferait sa propre idée à 18H.

Le problème, c'est que 18H arriva bien vite ! Rappelée à l'ordre par Bacchus, son chat qui criait famine, elle se prépara à la hâte pour voler vers le parc. A mi-chemin, le jeune fille se vit décontenancée car TOTALEMENT à la bourre. Un Serpentard tenta même de rallonger son parcours en proférant quelques insultes qu'elle ne releva pas. Elle lui lança tout juste un regard assassin, trop essoufflée pour lui donner de son précieux temps. Elle finit par arriver à bon port et, comme prévu, le garçon lisait un livre sur le deuxième banc à droite du lac. Arrivant par derrière, elle tenta de déchiffrer quelques mots pour deviner l'auteur de l'ouvrage mais ce fut un échec. Après avoir récupéré un semblant de contenance, elle replaça une mèche rebelle derrière son oreille et interpella le lecteur.

- Désolée, j'ai été un peu retardée...

Pour la forme, elle esquissa un mince sourire et s'intéressa à son objet.

- Tu lis quoi ?

Après tout, il fallait bien entamer la conversation sans trop de gravité.

Le garçon se montra fort sympathique, rien avoir les quelques saletés qu'elle avait entendues à son sujet.

- Tu dois être la fameuse Lou, Lou Perkins. Je suis enchanté de te rencontrer officiellement. Ce bouquin parle des plus grand legilimens. Savais-tu que notre très chère Professeur Rogue en faisait partie.

Tiens donc ! La fameuse. Pour un peu elle aurait presque rougi ! Elle voulut lui répondre que non, elle ne l'ignorait pas, puis ça faisait un bon sujet de conversation pour commencer, mais le garçon ne lui en laissa pas l'occasion, préférant se lever pour embrayer sur la suite. Elle ne protesta pas, bien curieuse de connaître ses motivations.

- Excuse-moi, j'ai manqué à tous mes devoirs. Je me présente je suis Luka Oz, en 6 ème année à Poufsouffle. Je te remercie d'avoir accepté cette invitation quelque peu surprise. J'avais réellement eu peur que tu refuses.

En guise de réponse, elle lui offrit un sourire. Pourquoi aurait-elle refusé ? Elle savait bien qu'elle non plus n'avait pas très bonne réputation. On la disait revêche, inabordable, hautaine. Elle l'était parfois, mais seulement à raison. Quand il s'agissait d'imbéciles elle était sans pitié, virevoltant au dessus de leurs pitreries comme un petit hippocampe ailé. Mais lorsqu'on l'abordait normalement, il n'y avait aucun problème ! Peut-être qu'elle en effrayait quelques uns après tout...

Quant à ce sixième année, il était plutôt joli garçon, des yeux d'un bleu profond et une certaine assurance dans sa façon de s'exprimer. Sa réputation aurait pu la rebuter, justement, et pourtant ce fut tout l'inverse. Elle avait de la sympathie pour les victimes des langues de vipère qui colportaient des rumeurs infondées, alors bon. Puis très franchement, il lui semblait plutôt prévenant jusqu'à présent ! Si ça avait été ce gros naze de Winchester à sa place, elle n'aurait probablement pas accepté l'invitation. Remarque, on aurait pu la piéger, lui faire croire qu'un élève lui donnait rendez-vous alors qu'il s'agissait d'un autre, plus sournois... Taratata ! Voilà qu'elle réfléchissait trop. La jeune fille essayait justement d'être moins méfiante, de faire plus d'effort, moins sur ses gardes. Si Truman lui avait bien appris quelque chose avant son départ, c'est que s'ouvrir n'était pas forcément un signe de faiblesse et que parfois, ça faisait du bien.

Luka sembla pensif tout à coup, tellement qu'un blanc commença à s'installer entre eux deux. Ne sachant trop comment réagir, la brunette consenti à rassurer son nouvel interlocuteur.

- Ben tu vois je suis venue. Je suis pas aussi méchante qu'on le dit ! avoua-t-elle avec bienveillance.

Après cela, le garçon reconnut la raison de tous ces mystères.

- Je voulais te rencontrer car j'aurais aimé discuter de Tokyo Parker avec toi. Et que je commençais à être agacé d'entendre parler de toi sans avoir pu faire plus ample connaissance.

Ca y'est, elle rougissait. Pouah ! Le blondinet avait donc parlé d'elle ! C'était rassurant quelque part, mais la situation était... gênante. Du reste, le Poufsouffle ne paraissait pas totalement à son aise non plus, si bien qu'il mit un petit temps avant d'en dire plus.

-  Excuse moi, j'ai eu une petite absence. Tokyo Parker est un jeune homme qui a choisi la voie de la solitude. Je ne sais pas ce qui le motive dans ce sens. Mais, depuis quelques mois, je l'observe et avec toi, il est différent. Il est naturel. Comme s'il s'enlevait toutes ses barrières et ses carapaces qu'il s'est forcé à mettre.

Ca, pour choisir la voie de la solitude, il l'avait bien tracée ! Comment lui en vouloir ? Lou se reconnaissait en lui de bien des manières. La différence, c'est que sa solitude à elle n'était pas emplie de chagrin. Du dédain peut-être, ou de la mauvaise foi. Toujours est-il que leurs deux isolements se rejoignaient pour ne constituer qu'une barrière de protection contre la méchanceté environnante ou, plus largement, contre la douleur et la déception. Du moins c'était l'interprétation qu'elle en faisait. Penser que leur relation pouvait paradoxalement aider le garçon à s'ouvrir l'emplit de joie un instant.

Toujours silencieuse, la quatrième année observa son camarade lui tendre un papier. Une invitation pour les 16 ans de Tokyo, en fait... Et elle n'avait pas été invitée. La jeune fille lutta pour masquer sa moue déçue, serrant les dents pour rester de marbre, mais s'il était un tant soit peu observateur, le Pouffy pouvait tout à fait noter ses lèvres se plisser et ses sourcils se froncer. Comme s'il avait effectivement lu dans ses pensées, il rétorqua :

-  Avant que tu t'emballes Lou, c'est la grand-mère de Tokyo qui a envoyé les invitations. Et non Tokyo. Il ne t'aurait jamais oubliée. Ne connaissant pas les relations de son petit-fils, elle a invité tous les cinquièmes et sixième année. Je pense que Tokyo n'as pas osé parler de toi pour éviter les questions indiscrètes de sa grand-mère. Sur ce, nous arrivons au point que je voulais voir avec toi. Comme tu vois sur l'invitation, je peux venir accompagner d'une personne qui n'est pas sur la liste. Voudrais tu bien être ma cavalière pour cette réception afin de rendre un petit peu le sourire à Tokyo ?

Elle resta bêtement plantée là à regarder son cavalier potentiel se rasseoir sur le banc, un peu éberluée.

- Euh, bien, oui ?

Elle n'avait pas fait preuve de beaucoup d'enthousiasme mais c'était la surprise qui parlait. L'espace d'une demie seconde, elle avait cru que Tokyo lui en voulait d'avoir été si distante au point de ne pas vouloir la convier à son anniversaire. Très vite, elle reprit ses esprits.

- Oui, bien-sûr que je viens !

Non seulement ça lui ferait plaisir de le retrouver dans un autre cadre que celui de l'école, mais en plus ça lui permettrait de faire plus ample connaissance avec son ange gardien. A vrai dire, elle trouvait l'attitude de Luka vraiment remarquable de sincérité. Elle ignorait si Tokyo et lui étaient de véritables amis mais cet élan protecteur de sa part en était une jolie promesse, et rien que pour ça elle désirait le connaître.

Après tous ces aveux, elle relâcha la pression et vint le rejoindre sur le banc.

- Non mais, tu sais que tu m'as fait peur toi ?! J'ai cru que t'allais m'annoncer un truc grave !

Elle pouffa. Quand elle repensait à Winchester ou cet imbécile de Flint sur le terrain, ça lui faisait chaud au coeur de voir que des gars avenants et solidaires existaient toujours.

- Tu voles souvent au secours des gens comme ça ? Non parce que, si c'est dans tes habitudes, je serais pas contre te croiser plus souvent ! Y'en a pas beaucoup dans le château, ou bien j'ai mal cherché, c'est possible aussi, finit-elle par marmonner dans sa barbe.

Lou était véritablement soulagée de savoir ce que cachait tout ce manège. Et maintenant, tant qu'à faire, autant papoter un peu.

Luka eut l'air surpris de sa remarque puisqu'il passa son temps à se justifier, affirmant qu'il n'oeuvrait que dans l'ombre pour ses amis mais qu'en réalité, il était quelqu'un de peu fréquentable. A mesure qu'elle l'écoutait, elle fronçait les sourcils.

- [...] Lou, je suis ravie que tu m'accompagnes. Mais je pense, que par la suite tu devrais m'éviter. Rapproche toi plutôt de Tokyo il le mérite. Pas moi. Tu ne devrais m'éviter, m'esquiver, comme beaucoup fond. Je ne suis pas un bonne personne.

Jusque là, elle s'empêchait de pouffer de rire... Qu'il se mettait le doigt dans l'oeil ! Il n'avait résolument pas frappé à la bonne porte s'il voulait écarter la jeune fille...

- Je ne suis pas sur la voie que toute bonne personne empreinte. Je suis une personne plus sombre que ce que l'on peut croire. Et je ne voudrais pas qu'il t'arrive quelque chose par ma faute. Typiquement, les professeurs risque de changer de regard vis-à-vis de toi s'ils apprennent que tu me connais. Cela serait vraiment dommage. [...] Si un jour tu as vraiment besoin d'aide, tu sauras où me trouver ne t'inquiète pas

Après ce discours dramatique, elle le regarda en hochant la tête, plissant ses yeux noisettes, l'air faussement grave.

- Alors nous avons un problème mon cher Oz, dit-elle avec légèreté en lui faisant une grosse tape amicale sur l'épaule, parce qu'en fait, ils se trouve que les gens fréquentables ne font pas tellement partie de mon entourage... Hasard ou pas j'en sais rien, mais les gens lisses ça ne m'intéresse pas, et d'ailleurs ils viennent rarement me parler si tu veux tout savoir, admit-elle en riant.

Au fond, elle ignorait ce qui poussait le Poufsouffle à prendre tant de gants mais qu'il se ferme de la sorte l'embêtait beaucoup. Il avait quelques démêlés avec des professeurs, et alors ? Elle aussi, Serdaigle ou pas. Les gens n'étaient pas des caricatures ! A ses yeux, plus ils étaient complexes, plus ils étaient intéressants. Les failles étaient synonyme de profondeur, alors tous ses arguments ne faisaient que lui donner envie d'en savoir plus à son sujet. Si Luka s'avançait comme le protecteur de ses amis, qui donc le protégeait, lui ?!

Elle réalisa qu'une fois de plus, elle était à la bourre. Un Serdy l'attendait depuis quelques minutes à la salle commune pour lui rendre un bouquin, ça aussi elle l'avait complètement zappé.

- Je dois y aller mais tu te débarrasseras pas de moi comme ça, rajouta-t-elle en faisant un clin d'oeil. On se voit chez Tokyo!