Qui avait dit qu’il faisait beau au mois de mai ? Le temps, en cette fin de semaine, était épouvantable. Oh, certes, il avait fait beau dans la matinée et une partie de l’après-midi, mais la météo avait sans crier gare tournée à la pluie battante. Une averse de printemps, très certainement, qui ne durerait pas… Mais pour l’heure, elle clouait Lyne sur un tabouret en bout de comptoir aux Trois Balais, une boisson chaude devant elle.
La jeune femme était venue à Pré-au-Lard dans l’espoir de trouver certains articles qui lui seraient utiles, mais la visite chez Derviche & Bang ne l’avait pas convaincue : les objets y étaient trop chers pour des suppléments désirables mais non nécessaires. Elle s’était donc mise à flâner dans le village pour tuer le temps, car son départ n’était pas pour tout de suite. C’est là qu’elle avait été surprise par l’averse et s’était réfugiée dans l’auberge. Elle dénotait un peu avec le style propret des Trois Balais, avec son t-shirt blanc sans prétention sous sa veste en cuir noire, son vieux jean usé et ses chaussures de marche, mais elle s’en moquait.
Il faisait bon à l’intérieur, et cette sensation était renforcée quand on voyait les trombes d’eau qui se déversaient dans la rue et tapaient aux carreaux. Ce lieu rappelait de nombreux souvenirs des années à Poudlard, et pour cause : les trois quarts sinon plus de l’école, adultes comme élèves, fréquentaient l’établissement. Celui-ci, comme souvent et d’autant plus du fait de la pluie soudaine, était bondé. Lyne se serait bien passé de sa place au comptoir, mais force était de constater que les tables étaient toutes prises. La pluie ne durerait pas, bientôt elle pourrait quitter cet environnement bruyant. Oui, mais pour faire quoi ? A vrai dire, elle était sacrément en avance sur son programme…

Toute à ses réflexions, la blonde souffla mornement sur son grog. Peut-être pourrait-elle aller faire un tour du côté de l’école, ou du côté de la Cabane Hurlante… Soudain, une personne s’installa sur la place vide à sa droite. Tournant la tête, la sorcière découvrit un jeune homme d’une vingtaine d’années, les cheveux bruns courts et le regard bleu pétillant, bien rasé mais très quelconque… Ce visage lui évoquait vaguement quelque chose.

- Alors, Carter ?, l’accosta l’individu. Toi aussi tu viens à la recherche du talisman perdu ?

Ah… Apparemment, Lyne était censée connaître ce type. Le problème était qu’elle ne parvenait absolument pas à le resituer. Après l’avoir dévisagé une fraction de seconde, elle arbora un sourire poli avant de poser la question fatidique.

- Désolée, je vois pas du tout à qui j’ai à faire, bien que j’imagine que je devrais… Tu es… ?

- Sykes ! Steven Sykes !, répondit son interlocuteur sans perdre son entrain.

La demoiselle plissa les yeux en dévisageant ledit Steven Sykes, fouillant sa mémoire. Bon sang, ce type devait être d’une banalité flagrante pour qu’elle peine tant à se le remémorer !

- Ah !, s’exclama-t-elle enfin. Steven Sykes, Steve Mange-un-Arbre ?

- Oui !, s’écria ce dernier, la face béate comme si on lui avait annoncé sa future paternité.

Le surnom peu flatteur du jeune homme lui venait de son premier cours de vol sur balai, durant lequel il s’était pris une branche. Le sorcier avait beau avoir deux ou trois ans de plus que Lyne, sa notoriété de malchanceux l’avait assez collé pour le suivre toute sa scolarité.

- Alors ? Tu deviens quoi ?, demanda-t-il. T’as réussi à faire la découverte du siècle, ou bien t’es là pour la faire ?

- Ni l’un ni l’autre, répondit l’intéressée, qui ne voulait pas s’attarder sur le sujet. Et toi, qu’est-ce que tu fabriques ici ?

- Je travaille à la poste, annonça Steven.

Lyne trouva ironique qu’un sorcier volant si mal travaille avec des oiseaux, mais elle se retint de faire part de sa réflexion. Elle n’avait pas plus envie que ça de parler avec l’ancien élève, qu’elle n’avait jamais trouvé très intéressant. Aussi limita-t-elle la conversation à la prise de nouvelles polie, mais ne chercha pas vraiment à l’alimenter.
Enfin, après dix minutes environ, Steven profita d’une éclaircie pour quitter l’établissement. Il ne fut pas le seul, plusieurs clients étaient apparemment venus pour s’abriter de l’averse plus que par désir de boisson. Même si le pub restait bien rempli, on pouvait un peu plus respirer. Miss Carter ne pensait pas s’attarder, cependant. Elle n’avait pas envie d’avoir à faire à d’autres curieux venant lui demander des nouvelles de sa carrière ratée, étouffée dans l’œuf. Soufflant à nouveau sur son grog, elle en but une lampée, décidée à le boire au plus vite pour aller voir ailleurs.

- Je peux m’asseoir ?

Lyne prit une inspiration en levant le nez de son verre. Décidément, elle les attirait, aujourd’hui… Cette fois, il s’agissait d’un jeunot, un élève très certainement. De bonne taille, des cheveux noirs en bataille, les yeux verts… Mais il s’adressait à qui exactement ? Il était maintenant en train de commander un verre, agissant comme si elle n’était pas là. Verre en main, il se mit à boire comme si de rien était.
Enfin l’étudiant se tourna vers elle. C’était parti pour durer, lui au moins semblait tout sauf pressé… Dardant sur son voisin un regard peu amène et ennuyé, la jeune femme porta son grog à hauteur de menton pour souffler doucement dessus alors que le jeune sorcier expliquait enfin la raison de sa venue.

- Bonjour, commença-t-il, je suis navré de te déranger, mais j’ai cru entendre que tu t’appelais Carter. J’ai moi-même un « ami » qui porte le même nom, et je serais intrigué de savoir si vous aviez un lien de parenté.

Un silence s’installa – pour peu qu’on oublie le brouhaha ambiant –, uniquement troublé par le souffle de la blonde sur sa boisson. Elle avait décidé de prendre son temps. Cela troubla peut-être son interlocuteur, car il reprenait précipitamment :

- Je suis désolé, je crains d’avoir manqué à tous mes devoirs, et je vous prie de m’en excuser. Je m’appelle Luka Oz, pour vous servir.

Quel changement d’attitude… On passait au vouvoiement. S’arrêtant de souffler, Lyne porta le liquide à ses lèvres et en but une gorgée, dédaignant la main tendue. Après avoir reposé son verre, elle consentit à serrer la main du jeune homme.

- C’est courant comme nom, Carter, gamin, dit-elle enfin d’un ton neutre et détaché.

Et elle se tut, observant son vis-à-vis.

Une certaine déception se lut sur le visage de l’élève. Eh, quoi ? Qu’est-ce qu’il espérait ? S’il voulait une réponse, il allait falloir un peu plus de précision, Lyne n’avait pas envie de chercher pour lui. Mais déjà, il se détournait… vraiment ? Il gardait un œil peu discret sur la blonde, hésitait-il ? Finalement, après quelques gorgées pour se donner du courage, Luka revint à la charge.

- Je suis vraiment navré d’insister, dit-il, mais le nom Carter fait référence à une rencontre que j’ai fait il y a quelque mois. Et je dois vous dire que vous lui ressemblez étrangement. Vous êtes sûre de ne pas le connaitre ? Il s’agit de Devan, Devan Carter.

Lyne haussa légèrement les sourcils, bien que le reste de son visage reste totalement neutre. S’il avait commencé par-là, les choses auraient été plus rapidement ! Et comme son frère ne fréquentait pas des freluquets comme ce jeune-ci, ça expliquait l’intonation particulière qu’il avait mise sur le terme « ami ». Oui, c’était tout de suite plus clair. Et la discussion qui allait certainement suivre, vu l’entêtement poli du gamin, serait à jeu égal puisqu’elle voyait maintenant de qui il s’agissait.

Mais déjà Luka se proposait de lui offrir un verre, sans l’importuner, toutefois. Déliant le geste et la parole, il commandait déjà une boisson pour elle et pour lui. Le verre de la jeune femme n’était pourtant pas vide encore, et l’élève avait pris une consommation une minute avant à peine.
Etait-il particulièrement peu ordonné dans sa tête pour dire et faire son contraire, ou bien était-ce un jeune bien malhabile pour ne pas paraître gênant tout en la forçant à rester ? Lyne clôt ses paupières un instant alors que Luka commandait. Elle n’avait pas envie de prendre le temps de jouer aux questions-réponses, mais avec ce genre d’interlocuteur, toute tentative de couper court risquait d’être interprété de la manière la plus fantasque qui soit. Rouvrant les yeux, le visage n’exprimant toujours rien sinon un certain ennui de la situation et un calme serein, elle se résolut à jouer.

- T’aurais commencé par là qu’on aurait gagné du temps, déclara-t-elle à Luka quand il lui réaccorda son attention. Oui, j’suis sa sœur.

Dans la suite de cette affirmation, elle finit son grog, reposa le verre vide sur le comptoir et le repoussa lentement devant elle, ses yeux gris plantés dans ceux du jeune homme. Son regard n’exprimait rien d’autre que de l’assurance tranquille. Son verre vide, dans sa lente course, en vint à pousser au même rythme lent l’autre boisson lui étant destinée vers son interlocuteur. Enfin, la vaisselle acheva son parcours, la main tenant le verre vide le lâcha, et revint en suivant le même cycle paisible et assuré se poser sur le bord du comptoir, devant la blonde. Le coude gauche sur le comptoir, sa pommette vint se poser sur son poing, dans l’attente de la suite. Elle savait que le gamin n’allait pas s’arrêter à deux questions, mais elle n’allait pas non plus les lui extirper de la bouche.

Le jeune homme perdait pied. Il ne semblait ni savoir quoi dire, ni savoir où se mettre. Bien loin de l’aider, Lyne était consciente de participer plus ou moins activement à ce malaise, mais n’était-ce pas le jeu ? Elle restait toutefois imperturbable, elle.
Après une gorgée pour se donner le temps de réfléchir, Luka raccrochait la conversation, si tant est qu’on ait pu appeler ainsi ce jeu de questions réponses. Ce ne fut pas bien long. Trois phrases, une vingtaine de mots… et il sécha. La jeune femme restait la tête penchée posée sur son poing, son regard gris comme la mer vissé dans celui de son interlocuteur, attendant la suite. Enfin, celle-ci vint :

- Auriez-vous des nouvelles de votre frère par hasard ?, demanda l’élève. Je le cherche depuis quelques mois et je n'arrive plus à avoir de nouvelles de lui alors qu'il devait me tenir informer de certains événements. J'espère qu'il ne s’est pas fait chopper.

La blonde haussa des sourcils surpris.

- Chopper ? Par qui et pourquoi ? Je sais que mon frère a un air assez patibulaire, mais il ne fait rien de mal.

La réponse était sortie simplement, avec le verni resplendissant de l’honnêteté. Mais bien que cela ne paraisse absolument pas sur son visage, dans sa voix ou son attitude, la sœur de Devan était consternée. Ce gosse était-il un sombre crétin écervelé pour faire de pareilles allusions en public ? Qu’avait donc imaginé son frère en s’entourant d’un élève de Poudlard, aussi peu discret de surcroit ?

- Pour te répondre, j’ai pas de nouvelle non plus depuis un temps, poursuivit-elle calmement. A moins d’avoir des choses à dire, on vit chacun de notre côté.