- ESFP.

Le sigle a claqué comme une insulte. Je ne sais pas ce qu'il signifie mais il me met un peu mal à l'aise. Bizarrement, je suis toujours un peu mal à l'aise quand on essaye de sonder mon esprit. Cette fois ne fait pas exception. Comme si elle avait lu mes pensées, ce qui n'est pas pour me plaire, la psychologue reprend.

- Ce sont les quatre axes de votre personnalité selon le test moldu Myers Briggs.

Peut-être l'ai-je un peu cherché aussi. Comme chez nous la magie est complémentaire de notre quotidien, nous n'avons pas toujours la présence d'esprit de comprendre le monde moldu et toutes les manipulations qu'il a dû mettre en place pour s'adapter. C'est d'ailleurs fascinant de constater tout ce qu'ils ont fait pour combler le vide que la magie ne remplit pas dans leur vie.

- D'accord, je réponds. Mais ça se soigne ?

Elle sourit à la boutade et reprend les explications. Emballé de mots compliqués et d'expressions téléphonés, son explication se résume en quatre mots : Extraversion, Sensation, Feeling and Perception. Je reste dubitatif. Des explications s'imposent.
Selon le test, l'énergie de ma personnalité est dirigé vers l'extérieur plutôt que l'intérieur. J'aurai donc comme fonction cognitive dominante une sensation extravertie. Ce qui signifierait que je laisse les sensations plus que l'intuition, la perception plus que le jugement dicter mes actes. Je ne suis pas sûr d'en saisir la profondeur mais j'écoute la suite. Ainsi donc, la fonction auxiliaire serait le sentiment introverti. Traduction, je laisse bouillonner en moi le mélange de mes émotions, laissant plus de place à celui des autres. Je suis sensible à l'avis émotionnel de mon entourage. Peut-être la raison pour laquelle je me laisse parfois un peu marcher dessus... Elle enchaîne en affirmant la fonction tertiaire : la pensée extravertie. Ça commence à devenir un peu flou dans mon esprit.

- Enfin, votre fonction cognitive inférieure est l'intuition introvertie. Factuellement, cela signifie que...

Cette fois-ci j'ai perdu le fil, ce qui ne passe pas inaperçu aux yeux de mon interlocutrice. Penaud, je m'incline. Elle sourit à nouveau, compatissante. Somme toute, résumer ma personnalité à quatre mots, ce serait oublier l'impact culturel de mon Japon natal qui m'a fait attentif, serviable et introverti. L'influence de l'éducation de mes parents qui m'a fait respectueux, persévérant et timide. Ce serait omettre mon empathie qui ne se déleste pas d'immaturité. Oublier que je me laisse trop souvent aller à la naïveté maladroite, à l'anxiété ou à l'émotivité. Que je comble cela avec ma joie de vivre, mon amabilité et ma douceur. Biaiser mon manque de confiance en moi. Refuser celle que l'on peut placer en moi. Je lui souris en retour.
Sous le soleil pâle de la cour du château, allongé dans l'herbe, je repense à tout ça. Je repense à moi. Introspection. J'ai beau y réfléchir, je n'imagine pas un seul test sur Terre qui ajusterait froidement et efficacement ma personnalité. Je me redresse et ouvre un chocogrenouille, bloque, et le referme. Parfois, j'ai du mal à en manger, comme si je pouvais faire du mal à du chocolat ensorcelé. Pour la même raison, les souris en sucre me sont parfois inaccessibles. Tant pis, j'avale un caramel doré et me rallonge avec au moins une certitude. Moldu ou non, il n'existe aucun test qui puisse mesurer mon attachement au Sucre.

Je me suis promis pour la centième fois que je n'accepterai plus. Mais les sœurs et particulièrement les grandes ont ce don pour vous convaincre. La mienne plus encore que les autres. Ses arguments sont innombrables et pourraient se résumer à sa chevelure de blé, ses yeux amande qui pétillent de malice intelligente et dont la couleur pourrait se confondre avec un berlingot à la menthe; son sourire de Madame Borboleta et ses lèvres fines qui prononcent les mots avec une force péremptoire ; ses bras solides, dessinés d'une grâce féminine qui assume d'être forte et autoritaire ... et par dessus tout, son fichu caractère, similaire en tous points à la réaction que pourrait avoir un bonbon explosif. Elle a toujours eu le dernier mot, tant dans nos altercations que dans nos affrontements. Il n'y a pas que la différence d'âge, Datura est vraiment plus forte que moi.

- Allez, ramène-toi, on va s'amuser !

Le pire ? C'est qu'elle a sûrement raison. C'est aussi ça, le pouvoir de ma grande sœur. Ses défis stupides qui témoignent de son côté garçon manqué ont toujours eu cette capacité innée à être terriblement divertissants. Je pousse tout de même une moue récalcitrante, pour la forme, en me promettant pour la cent et unième fois que :

- Ok, mais c'est la dernière ! Et je te préviens, si je tombe sur un goût trop douteux, j'arrête !
- Oh, ne fais pas ta chochotte, évidemment qu'on va tomber sur des « goûts douteux », rétorque-t-elle en m'enfonçant amicalement son coude dans les côtes. C'est exactement pour ça qu'on fait ce jeu !

Un peu moins convaincu qu'à l'instant, je m'assois à ses côtés, appréhendant avec de grandes inspirations silencieuses la galère dans laquelle je me suis fourré. Le sourire sincère de joie contenu qui étire le visage de Datura m'incite à plonger tout à fait la main dans la boîte de friandises la moins certaine de Grande-Bretagne. Je saisis la première dragée. Elle est d'un vert sombre tacheté de noir ... Un frisson parcourt mon échine et mon imagination déballe toutes les issues tragiques éventuelles. Je ferme les yeux, courageusement et croque dedans comme si ma vie était en jeu. Le ressac sec et glacial libère mes papilles comme autant de chocogrenouilles entre les mains pataudes d'un bambin. Menthe poivrée ! Taquine, ma grimace de surprise nous fait rire aux éclats. Et avec le rire, les souvenirs...

Nous nous souvenons ensemble. Quelque part entre la mélancolie et la nostalgie. Imperceptiblement rapprochés l'un de l'autre. Facétieux, je lui tends la boîte, laissant la loterie du destin décider de la prochaine occurrence. Ma sœur plonge sans hésiter la main dedans et sans un coup d’œil pour contrôler la sucrerie, l'enfourne et plante ses dents. Son visage se détend instantanément et c'est dans un gémissement qu'elle me rafle le plaisir d'un...

- Chou à la crème !

- Quatre ou cinq il me semble ! Tes joues avaient triplées de volume !

Nous sommes pris d'un fou rire. L'expérience reste un excellent moment. Nous prenons le temps de nous calmer, partageant ce souvenir d'un énième pari stupide. Comme pour me ramener sur terre, ma sœur me glisse la boîte sous le nez, agitant les embûches sucrées avec insistance. Je grimace, mais me résous à piocher à l'intérieur. Encore un vert. Plus vif, celui-ci... Je le glisse sous ma langue, espérant anticiper. Mais ces saloperies sont bien faites. Impossible de savoir avant d'avoir mordu. Alors je me lance. Avec le goût, cette fois, viens naturellement l'odeur...

Nous nous serrons encore un peu plus. L'Irlande qui nous impressionnait est loin derrière nous. Et comme pour le prouver, Datura enchaîne sans attendre une nouvelle dragée. C'est sidérant cette capacité qu'elle a à passer de l'émotion à l'action en si peu de temps. Elle m'a toujours semblé tellement courageuse. Même là, alors qu'un rictus lui barre le visage et qu'elle semble mâcher avec une difficulté modérée.

- Ok, je crois que c'est de la glue, grimace-t-elle. Je reviens sur ce que j'ai dit, t'as peut-être raison à propos de ton su-sucre ...

C'est puéril mais ça sonne un peu comme une victoire. Bonne joueuse, Datura me gratifie d'un clin d’œil complice. Le professeur d'Étude des Moldus nous disait que les sorciers n'ont pas besoin d'utiliser d'artifices comme la colle et que le goût glue est une preuve on ne peut plus claire du rapprochement culturel entre nos deux mondes. Je partage l'anecdote avec ma soeur en récupérant une dragée orange sombre. Un doute m'assaille, mais c'est préférant être optimiste que je me lance. Malgré moi, je fais la moue. Ça aurait pu être pire...

J'ai toujours été un fervent admirateur du parcours scolaire de Datura. Déjà parce qu'elle a connu Mahoutokoro, dont j'ai raté l'inscription a si peu... Mais aussi parce qu'elle est suit des études de Médicomage depuis qu'elle a terminé son cursus. La savoir en réussite me conforte dans l'idée que je peux le faire aussi. Perdu dans mes pensées, je n'ai pas vu ma sœur engloutir sans faille la dragée suivante. Elle sourit, le sourire d'un goût clément. Plaisant.

C'est mon tour. Bien que méfiant, je constate tout de même avec félicité que nous – sinon moi – ne sommes pas tombé sur des goûts trop étranges pour le moment. Je nous congratule pour l'exploit mais Datura ne perd pas espoir d'un coup de poker sur le prochain, argumentant que plus nous piochons de bons goûts, plus les mauvais se font majoritaires dans la boîte. Cette évidence me refroidit mais j'engage néanmoins ma main, en piochant une rose vive. Il n'y a rien d'exécrable qui puisse être d'un rose si sucré... Je mords dedans et violemment, je sursaute. C'est plus extrême qu'attendu, plus brutal que voulu, mais j'étouffe un cri.

- Barbe à Papa !

Encore une fois, Datura ne m'a pas attendu pour continuer. Tout en parlant, elle a déjà dans la bouche la surprise gustative qui se révèle être à la violette. Je me sens nostalgique en repensant à cette après-midi passé avec Maman, Datura et cette première barbe à papa. J'ai encore les couleurs et les sons, dans des réminiscences fugaces mais nettes. Finalement, elle me tire de ma rêverie avec la douceur brutale qui lui est propre.

- Tu te souviens quand on mangeait les fleurs de Maman ?
- Quand TU les mangeais, dis-je en m'indignant sans force.
- Oh, ne fais pas l'innocent, tu l'as fait aussi !, rétorque-t-elle

- C'est ton tour, Kazuke.

La discussion dure depuis plus d'une heure. A nous remémorer ces souvenirs ensemble, nous n'avons pas vu le temps défiler. C'est amusant le pouvoir qu'a ma grande sœur. J'en oublierai presque que nous jouons à un de ses défis discutables. Elle me tend une friandise, d'un jaune pâle qui tire sur le marron. Sourire aux lèvres, nous profitons de ce moment privilégié que seul un frère et une sœur peuvent avoir. Je mords dans la dragée et un goût fade et cireux envahi ma langue. Sans attendre, je recrache l'immondice, le dégoût me parcourant de la tête – les cheveux dressés comme des baguettes réglisse – aux pieds – les orteils crispés comme du nougat dur.

- Pouah ! Cérumen !

Datura éclate d'un rire franc. Bon perdant habituellement, je ne plaisante pas avec la discipline gustative et c'est écœuré que je me lève d'un coup, emportant avec moi ma frustration.

- Je savais que c'était stupide comme idée ! J'arrête de jouer, c'est immonde !

Intérieurement, je renouvelle pour la cent et unième fois ma promesse. Plus jamais ça !