Londres... Joyau du Royaume Uni, une ville recelant de tant de symbole porteur de joie et de prospérité. Ses marques, ses boutiques, ses monuments, sa bonne humeur, ses pubs... On se gardait bien d'évoquer la ville sale, ses rats, ses égouts, ses malfrats, ses quartiers gris et tombant en ruine...
Chaque lumière étincelante n'existe que pour masquer une ombre conséquente.

En cet hiver 1991, les touristes ne pouvaient rêver que de neige pour parfaire leurs sorties dans les grandes allées commerciales illuminées pour les fêtes,
mais en Angleterre, la pluie est plus souvent au rendez-vous. Le sol grisâtre était encore humide des dernières ondées, et le ciel nuageux n'en était pas moins menaçant.
Un temps morne, sombre, triste, à l'image de la ruelle dans laquelle se trouvait un petit groupe d'hommes. L'eau ruisselait dans les caniveaux, gouttait des immeubles miteux se trouvant de part et d'autre, se frayait un chemin entre les détritus et la crasse. Un molosse au pelage noir et feu poursuivait ça et là quelques rats qui fuyaient en piaillant.

Devan remonta le col de son long manteau de cuir brun alors qu'il toisait le gaillard en train de parler d'une voix basse et enraillée. L'homme à sa droite,
Mick, un grand pâle aux cheveux bruns, une rose des sables tatouée dans le cou, laissa échapper un grognement insatisfait. Voila une heure que la transaction n'avançait pas, et celle-ci semblait venir à bout de la patience du malfrat. Les deux hommes échangèrent un bref regard, et le rasé prit enfin la parole après le long monologue de leur fournisseur.

« 150£. » lâcha-t-il d'un ton calme mais sans appel.

Le revendeur s'exclama, s'offusqua vivement; le bandit venait de diviser le prix initialement annoncé par presque trois !  Le ton montait, l'homme gesticulait en maugréant alors que Mick était à deux doigts de le saisir par le col.
D'un oeil, Carter avisa son molosse se tenant un peu plus loin. Celui-ci était en position d'arrêt, et pas pour un chat. Il fallait abréger. De sa poche il sortit une liasse de billet et la colla d'un geste sec dans la main du fournisseur tout en plongeant son regard dans celui de l'homme. Un dernier signe de tête, et celui-ci s'éloigna avec Mick dans la ruelle.

Réajustant le col de son manteau ouvert, il prit la direction opposée, suivi de loin par son molosse. Ses poings s'enfoncèrent dans ses poches... une main sur la baguette, l'autre sur un revolver. Plus qu'une question de temps...

« Devan Carter ? »

Un pas supplémentaire, deux... finalement il s'arrêta et se tourna de toute sa stature vers le morveux qui venait de l'interpeller. Le regard acier scruta un instant le quidam alors que Devan gardait une expression totalement fermée et impassible. Au fond, il se demandait bien qui était ce jeune effronté qui les avait visiblement épiés. Lentement, il releva un peu le menton, toisant le garçon. A son cou brillait une petite croix en argent.

« C'est dangereux ici gamin, tu f'rais bien de passer ta route. »

Sa voix était calme, assez grave, plutôt agréable à l'oreille malgré la mise en garde qu'elle énonçait. Le beauceron s'était quant à lui arrêté à quelques mètres derrière Luka. Impassible, ce chien aux couleurs infernales fixait l'humain de ses yeux charbons, oreilles dressées, en attente de tout ordre provenant de son maître.

L'impassible voyou rasé scrutait les prunelles émeraudes du gamin qui, il faut l'admettre, était grand pour son âge. Les deux hommes, malgré les années les séparant, faisaient la même taille. Le tatoué était cependant plus charpenté. Qu'est ce qu'un morveux pareil faisait dans un endroit pareil ?  D'une certaine manière, Devan savait qu'il aurait très rapidement la réponse. On ne vient pas titiller des voyous après les avoir espionnés sans raisons... Et si ce gars là connaissait son nom, le junkie se doutait quelque peu de l'origine de sa venue. Il avait quoi ?  Dix-sept ans à tout casser ?  Et pour connaitre son nom c'était probablement un sorcier, donc un élève de Poudlard.

« Je sais qui tu es, et je sais ce que tu as fait. »

Et le garçon se mit à déballer, sans jamais s'arrêter, tout ce qu'il prétendait savoir... sous le regard impassible de Carter. Son instinct ne l'avait pas trompé, il était bien élève à Poudlard et aux vues des informations qu'il avait, ce petit gars avait fait bon nombre de recherches.
Les yeux du malfrat se plissèrent légèrement au cours du récit, à ces pseudos questions au sujet de son père, de sa mère, des circonstances de leurs décès respectifs... Ce n'étaient pas des questions... le garçon avait son idée précise sur cette histoire et ne faisait que soulever les évidences... ou incohérences.

D'un côté, ce petit homme l'agaçait fortement. Qu'est ce qu'il cherchait avec tout son baratin ?  Une fin de vie rapide ?  Des réponses pour une interview ?
Et d'un autre, il titillait la curiosité du bandit. Pourquoi toutes ces recherches ?  Et pourquoi risquer ainsi sa vie s'il disait "savoir" ?  Quand bien même... il ne savait pas tout.

Toujours impassible, mais le regard plus sévère, Devan observait le garçon gesticuler. C'était infime... mais ses mouvements, cette main qui se cachait dans cette poche, ce débit de parole, cette théorisation... il avait la trouille. Ce qui prouvait que malgré son audace, le garçon était un minimum censé. Il prit même la peine de rassurer le bandit, sans doute pour ne pas perdre sa tête trop vite... et Devan se retint de rire. Oui, ce garçon avait peur.

« Je m’appelle Luka Oz. »

Visiblement, cette fois ce jeune homme attendait une réponse de la part du voyou. Celui-ci avait brièvement abaissé son regard sur la main sortant de la poche pour juger de la dangerosité éventuelle de la chose, le tout très calmement. Ses mains à lui se trouvaient toujours dans son manteau, mais le pistolet tenu dans une de ses poches étaient pointé grossièrement vers le buste du dénommé Luka. Un trou dans le cuir ne le gênait pas lorsqu'il s'agissait de défendre sa vie ou ses intérêts, et si ce petit sorcier se montrait trop entreprenant ou faisait un geste de travers, l'affaire serait vite réglée.

« Si j'avais voulu assassiner Smith sans qu'on ne fasse de liens avec moi, je n'aurais ni prit cette date, ni cette méthode. Trop évident tu ne crois pas ?  Par contre pour attirer les soupçons sur moi, celui qui a fait ça a bien pensé les choses sans doute... Le fait est qu'on a jamais su qui avait éliminé ce crevard. » lâcha tranquillement le truand en guise de réponse.

Doucement, le tatoué pencha la tête de côté, dévoilant un peu plus les tatouages à la base de son cou et disparaissant sous son vêtement, alors qu'une fine bruine se mettait à tomber. Ce genre de crachin bien désagréable que l'on trouve trop souvent en Angleterre, qui ne donne pas la sensation qu'il pleut mais vous trempe un homme en un rien de temps.

« Et si tu ne veux ni me dénoncer pour j'ne sais quoi, pour quelle raison est-ce qu'un morveux de Poudlard s'est donné tant de mal à me trouver ? »

Le ton était presque ironique, et il savait très bien que c'était la question que Luka attendait, il n'avait que fait lui tendre la perche au fil de son discours... et le truand avait besoin d'en apprendre plus sur cet étrange loustique qui bravait les dangers.

Le malfrait avait fini par lâcher sa propre baguette dans sa poche pour saisir celle du garçon. Son autre main restée cachée et posée sur l'arme à feu. Son regard quant à lui s'était à peine posée sur cette vieille photo. C'était bel et bien lui, mais il n'en fit pas mention. A cette lointaine époque, dix ans plus tôt. Avant les tatouages et ce style voyou.
Le jeune face à lui prit une profonde inspiration, cherchant sa doute à diminuer son stress. Devan se contenta d'un bref regard vers le ciel sombre. Il devait être 17h passées, les ombres s'étiraient peu à peu dans ces ruelles étroites. D'une oreille qui semblait distraite, il écouta la répartie de Luka. Bien sûr... sous ses airs il se montrait attentif. Ainsi, il était le fils d'un type haut placé au Ministère de la Justice. C'était tant intéressant que dérangeant. Ce petit gars pouvait à la fois représenter une menace conséquente, et une source d'informations non négligeable. A des informations auxquelles il n'avait pour l'heure pas accès.

Et enfin, l'élève en arriva à la partie intéressante. A la fameuse raison de sa venue dans ces quartiers malfamés. Proposer de servir d'espion dans l'école de Poudlard ?  Rien que ça ?  Devan toisa le jeune imprudent en considérant un instant sa proposition, avant d'en entendre la contrepartie.

« La seule chose que je te demande en retour, c’est comment fait-on pour passer la limite ? Explique-moi, apprend moi. »

Cette fois, le bandit s'autorisa à arquer un sourcil et froncer l'autre. La... limite ?  Quelle limite ?  Être capable d'abattre quelqu'un ?  Virer malfrat ?  Désobéir ?
C'était trop vague aux yeux du tatoué, qui pour sa part avait dépassé bon nombre de limites. Pas toutes. Pas encore. Faisant tourner la baguette du garçon entre ses doigts sous la pluie qui s'intensifiait en crachin, il répondit toujours avec cette même voix grave.

« Ce n'est pas anodin ce que tu proposes... En imaginant que quelque chose puisse m'intéresser dans ce qui se passe au sein de Poudlard... il me faudrait quelques "précisions" sur ce que tu veux apprendre, gamin. Passer la limite c'est vague. »

Il cessa alors de jouer avec la baguette et s'approcha lentement du garçon, le contournant légèrement. Sa démarche était à ce moment semblable à celle d'un fauve en chasse... silencieuse, souple. Il ne détacha pas une seule fois son regard de Luka.

« En bon prince... Je vais malgré tout te donner une première leçon : tout est question de volonté. »

Ainsi, ce morveux était certain que Devan ne lui ferait rien ? Non... bien entendu il ne le chahuterait pas après avoir eu de telles informations, après le gamin irait se plaindre à son père qui jetterait ses chiens à ses trousses. Non... s'il devait lui faire quelque chose ça serait radical. Au mieux pour Luka un sortilège d'oubliette, au pire la mort. Mais rien qui ne puisse compromettre le bandit. Il ne fit aucune remarque cependant, restant placide et maître de la situation. Après tout il était sur son territoire d'une certaine manière...

Alors qu'il était arrivé dans le dos du garçon, ce dernier leva son bras gauche en tirant sa manche.

« As-tu déjà vu ce tatouage dans ton milieu ? »

Des clés ? Evidemment qu'il en avait vu, et assez nombreuses. Souvent symbole de secret, de liberté, de renfermement... son sens variait d'une personne à l'autre mais retrouvait toute sa vérité dans les mots de son porteur.
La Souffrance...

C'était le mot soufflé le garçon à l'oreille du malfrat qui s'était quelque peu approché. En tout cas ce petit avait le sens du spectacle, et semblait se faire un malin plaisir de repousser l'échéance où il expliquerait ce qu'il voulait réellement. Devan s'en trouvait un peu lassé, il avait d'autres chats à fouetter que jouer avec un gosse qui faisait trainer les choses en longueur. Cependant, il se trouvait pour l'heure quelque peu coincé. En lui révélant son identité, le gamin avait mit un fer au poignet du bandit, l'empêchant de n'en faire qu'à sa guise à moins de mettre un terme très brutal à ce petit jeu. Des deux, c'est Luka qui risquait le plus, et le voyou qui était en position de force. Ce dernier s'écarta d'un pas, restant dans le dos de l'adolescent.

Une clé en elle-même n'avait jamais été symbole de souffrance, du moins il n'en avait jamais vu ainsi. Cependant, son sens caché pouvait l'être. Des secrets gardés, ou le fait d'être attaché, limité dans ses mouvements et son attitude peut-être. D'être prisonnier.

« Les serrures se forcent et les chaînes se brisent. Viens-en au fait. »

Cette fois-ci le ton était un peu plus autoritaire, bien que toujours calme. En plus de ce petit jeu, la bruine lui tapait sur le système, et il allumerait bien une cigarette devant un verre d'alcool fort. Encore fallait-il que le garçon se décide à parler.

Une main toujours dans sa poche, sur son revolver, Devan Carter fixa le garçon qui se retournait et le toisait d'un air malicieux. Ce Luka gagnait peu à peu en assurance, ou jouait les branleurs pour se donner du courage. Stoïque, le malfrat roula légèrement d'une épaule alors que le jeune sorcier allumait une cigarette et lui soufflait au visage la fumée de celle-ci. Oui, ce gosse prenait d'un coup trop d'assurance, et c'était sans doute là sa première grosse erreur dans leur discussion. Malgré l'agacement ressenti, le voyou resta on ne peut plus calme, réprimant tant son envie de s'allumer une clope que de tirer une balle dans le ventre de ce garnement.

« Tu n’as pas répondu à ma question. »

Un infime sourire naquit au coin des lèvres du voyou alors qu'il plissait légèrement les yeux. Beaucoup trop d'assurance. Il avait lui-même posé une question bien avant celle-ci et en attendait toujours la réponse. Mais soit, il entrerait dans le jeu de ce pauvre gamin... le résultat pouvait être amusant. Pour lui.

« Les clés sont fréquentes, leurs positions variables, tout comme tailles et formes. Et je ne m'amuse pas à dévêtir les gars d'mon espèce... sont pas mon genre. » glissa-t-il d'un ton très détaché.

Il abaissa le regard à ses pieds, et son molosse vient alors se placer tout contre sa jambe. A croire que l'animal obéissait au regard, ou lisait dans ses pensées. Le beauceron observait attentivement les alentours, oreilles dressées, alors que le bandit reportait son attention sur le garçon qui commençait à tracer quelques similitudes qu'il avait repéré entre leurs deux vies. Mieux que ça, il se dévoilait. Ainsi donc ce petit était perdu dans les méandres de sa propre existence...

« Dommage que tu l’exploites aussi mal dans ton domaine. Tu es si facilement trouvable. »

Deuxième erreur de la part de l'élève de Poudlard... Il n'était trouvable que parce qu'il voulait bien l'être, et ne l'était car "Devan Carter" n'avait pas grand chose pour être inculpé. Des suppositions, des soupçons, tout au plus. Le malfrat avait bien plus d'un tour dans son sac sur le sujet, et bien des longueurs d'avance... aussi, il ne sourcilla ni ne fit de remarque à cette provocation du garçon, préférant le laisser dans ses propres certitudes. Ainsi, il gardait encore une avance supplémentaire sur lui.

A côté de ça, Carter avait la désagréable sensation que le garçon le prenait pour un con... et penchait de plus en plus à croire que cet idiot là était venu le voir pour mettre fin à sa vie, inconsciemment.

« Voyons, je ne doute pas que tu es pris un malin plaisir à faire souffrir le meurtrier de ta mère. »

Jamais deux sans trois dit-on... nouvelle erreur de la part de Luka. En effet Smith avait été torturé, mais cela nécessitait-il de la part de l'assassin que celui-ci ressente la même jouissance sadique que le tueur en série dans la réalisation de cet acte ?  Là encore, Carter ne dit mot. D'une part vis-à-vis de ces accusations dissimulées sur deux meurtres, il ne comptait pas se compromettre. D'autre part sur le sens donné à cette torture. Il n'était pas Smith.

« Alors dit moi Devan, comment fait-on lorsqu’on est un élevé brillant, promis à un grand avenir, à prendre son pied dans la souffrance des autres ? Comment fait-on pour vouloir à ce point infliger une violence physique, et une torture pendant des heures avant de lâchement l’achever ? Comprends-tu mieux le sens du mot « souffrance » que je t’ai exprimé ? »

Le tatoué ne cilla pas plus à ce nouveau nuage âcre de fumée qui l'enveloppait... mais il commençait à bien cerner le gamin qu'il avait face à lui. Il était instable, mais ce n'était pas un timbré par nature. Il voulait faire souffrir, se venger d'une personne ou du monde entier... mais le sadisme entrait en jeu. Pour en arriver à de telles extrémités ce gamin devait être parvenu à un point de non-retour conséquent, mais il semblait incapable de franchir le pas seul. Une sorte de retenue... une barrière psychologique.

A présent l'obscurité les enveloppait presque, le bout de la ruelle était éclairée par quelques lampadaires mais la lumière peinait à les atteindre.

« T'es trop sûr de toi. Et tu te trompes. »

Il s'approcha lentement du garçon, et avait profité de l'obscurité pour tendre la baguette de Luka à son molosse. Ce dernier la tenait à présent entre ses crocs, et il ne faisait aucun doute quant au fait qu'il pouvait la briser sans mal s'il le voulait.
Doucement, Devan se pencha vers l'adolescent, comme s'apprêtant à lui faire une confidence, à l'image de ce qu'avait fait le garçon plus tôt. Sauf que contre toute attente, à la place il lui envoya un violent coup de poing dans l'estomac avant de reprendre d'une voix étrangement douce et calme en s'écartant d'un pas et observant le jeune fou :

« Tu penses que j'ai pris mon pied ?  C'est vrai que j'aurais pu... J'ai pendant un moment eu l'étrange envie d'te trouer le bide. Mais non... à vrai dire j'en ai rien à foutre. »

Le bandit releva lentement le menton, toisant le jeune homme qui avait dû avoir le souffle méchamment coupé entre le coup de poing et la clope.

« Tu veux quoi ?  Faire souffrir autrui ?  Repère et exploite ses faiblesses. Tu veux prendre ton pied à l'faire ?  Y'a pas de magie là d'dans... il suffit d'être timbré. J'peux t'apprendre plein d'choses gamin, mais la folie ça ne relève que d'toi. »

Le gamin avait le souffle coupé et semblait par la même avoir été calmé de ses ardeurs. La respiration pendant un moment sifflante, il ne tenta pas de répliquer au coup qu'il venait de prendre. Les prémices d'une réaction intelligente de la part du jeune sorcier ?  Celui-ci mesurait-il enfin qu'il allait devoir faire preuve de davantage de tempérance s'il voulait rester entier et obtenir quelque chose du bandit ?  Visiblement.

Devan l'observa se redresser lentement, sans un mot, le jugeant presque et attendant sa réaction, ses mots, pour appliquer la sentence. C'est avec peine que Luka reprit la parole pour enfin s'expliquer correctement, avec une pointe d'hésitation. Le malfrat le toisa sans un mot, en position de force.

« Je veux arrêter d'avoir peur. De laisse ma vie être diriger par les autres. »

La persistance de cette pluie fine, l'obscurité qui les enveloppait, la ruelle sombre et menaçante... le tout mêlé à ces mots, à la situation et au geste du garçon, Devan se serait presque cru spectateur d'un film américain. D'une certaine manière, une image puissante et appréciable s'en dégageait.
Pour le garçon, convaincre Carter revenait aussi à une question de vie ou de mort, et le malfrat ne savait pas si le jeune sorcier en avait conscience. Rien ne garantissait qu'il le laisse partir vivant, ou avec des souvenirs de cette rencontre si celle-ci ne se terminait pas avec de bonnes augures.

Le marginal dévisagea Luka, et ses iris rencontrèrent les prunelles du garçon qui relevait enfin son visage vers lui. Aucun doute ne pouvait exister quant au fait qu'à cet instant où les secondes restaient comme en suspend, le tatoué jugeait le récit de l'adolescent et la proposition qui en découlait.

« Redresses-toi. »

Sa voix était de nouveau d'un calme étonnant pour un homme de sa dégaine, mais avait toujours cette petite pointe autoritaire. Le voyou attendit que Luka exécute sa demande pour reprendre.

« J'accepte ta requête. Suis-moi. »

Tout en parlant, il avait récupéré la baguette que détenait son beauceron et la tendit au jeune sorcier avant de l'inviter d'un signe de tête à quitter la rue. Il ne donna pas davantage d'explications et emprunta bien des chemins détournés sans un mot, suivi par son molosse et mains dans les poches de son manteau.

Il s'exposait à quelques dangers potentiels à ainsi accepter la demande de Luka, mais au fond il se trouvait curieux de ce que ce petit pourrait lui apporter, et il avait toujours aimé jouer sur la sellette.

Le marginal finit par s'arrêter face à une enseigne on ne peut plus moldue. Un pub anglais, sans prétention, dans un des quartiers relativement défavorisés de la capitale du Royaume Uni. Un lieu qu'il connaissait bien et dans lequel il était assez connu... de moldus. Il s'écarta pour laisser le garçon entrer.

Un infime soupir de satisfaction quitta les lèvres de Devan lorsqu'il franchit la porte du pub à la suite du garçon. Les lieux étaient assez peu éclairés, et l'odeur du tabac et de l'alcool pouvait piquer le nez des personnes peu habituées. Si le bar était plein, il restait encore plusieurs tables de libres en cette fin d'après-midi, et dans un recoin quelques gaillards tatoués jouaient au billard.
Le marginal salua quelques personnes d'un simple signe de tête. Ce bar était situé dans la zone d'influence de son gang qui était établi dans les rues moldues de Londres, et outre le fait d'y passer du bon temps, il y venait aussi parfois pour faire affaire avec des non-sorciers.
Tranquillement, il s'installa à une table dans un coin, sur un des deux canapés en faux cuir défoncé et teint en vert bouteille qui l'entouraient. Le gamin l'imita, observant les lieux avec une certaine curiosité. En voila encore un qui ne devait pas avoir l'habitude des lieux moldus, très probable vu le statut de son père au Ministère. Il en vint même à demander la raison de leur présence ici.

« Boire un verre, pardi. » répondit le rasé avant de faire signe à un des barmans qui semblait couvert de piercings et tatouages. « Un whisky. »

Un petit sourire amusé se dessina à ses lèvres lorsqu'il entendit le jeune sorcier surenchérir. Devan continua de l'étudier un moment alors que ce dernier scrutait les alentours, comme s'il craignait être espionné ou qu'un moldu ne lui saute dessus. Le malfrat, quant à lui, était tout à son aise. Il avait ôté son manteau de cuir, croisé nonchalamment les jambes, et s'était calé dans le fond du canapé, ces deux bras étendus sur le haut du dossier. Les manches de son haut noir étaient remontées sur la moitié de ses avant-bras, laissant voir les mêmes motifs de tatouage que ceux qu'on pouvait distinguer à la base de son cou. Cou autour duquel se trouvait une chaînette d'argent, à laquelle se trouvait un petit pendentif : une croix.
Son molosse, quant à lui, s'était naturellement allongé à ses pieds et observait les alentours.

Luka reporta finalement son attention sur le malfrat qui l'observait toujours d'un oeil qui paraissait distrait. L'adolescent en vint à lui demander ce qu'il attendait comme informations et le tatoué haussa simplement des épaules avec une mimique amusée.

« Pour le moment, tout ce qui te semblera intéressant. Si quelque chose m'intéresse plus particulièrement je te l'ferais savoir. »

Il se gardait surtout le droit de faire le tri dans les informations qu'il recevrait, qui sait... peut-être quelque chose d'anodin aux yeux de certains pourrait se révéler comme ayant de la valeur pour qui y porterait un autre regard.
Le serveur moldu rapporta les verres et la note. Carter plongea simplement sa main dans sa poche et en tira quelques Livres Sterlings pour payer les deux consommations, se doutant bien qu'un gosse pareil n'aurait au mieux que quelques galions sur lui.

« Tu n'es pas du genre à faire facilement confiance aux gens. Alors qu'attends tu de moi pour te prouver ma bonne fois ? »

Amusé par la question si prévisible, le marginal tira un paquet de cigarettes Malboro et en alluma une avec un briquet. L'extrémité du bâtonnet de nicotine devint incandescent lorsque Devan tira dessus. Au bout de quelques secondes sans réponse de la part du malfrat, le jeune sorcier reprit avec un air plus taquin en demandant s'il en sortirait indemne. Ainsi, sous ses airs de garçon sûr de lui et plaisantin, il doutait encore de sa situation ? C'était plutôt sage de sa part.

« Quel est ton avis sur la question ? Sur les questions, même. »

Ainsi il commençait déjà à le tester, et était curieux des réponses qu'il pouvait apporter à ses propres interrogations. Toujours installé comme un prince des rues, l'air relativement sûr de lui, il saisit tranquillement son verre et le leva comme pour saluer le garçon, avant que ce dernier ne commence à répondre à ses propres questions.

« A ta liberté, gamin. »