Jeudi matin, il faisait sombre et chaud. Mais dehors ce n'était clairement pas la joie;  il y avait une pluie fine et pénétrante qui n'hésitait pas à percer les murs de Poudlard. Une pluie qui voulait congeler tout corps sur son passage. Fort heureusement, les cachots étaient protégés par un sol carrelé, celui de la Grande Salle, et par les cuisines étouffantes de l'école. Seule l'humidité ondulait calmement dans les commisures des murs de la Salle commune, circulant et glissant sur la moindre petite parcelle de vie. Ted transpirait par goutte.  Mais pas à cause du temps. C'était quelque chose de bien plus profond.. Bien plus enfoui. Quelque chose qui le faisait cauchemarder, qui le hantait. C'était des gens, deux gens, ses parents. Des parents absents, violents, inoxédérablement ignorants.. Et pourtant bien présents dans des rêves sensés être normaux. Rien n'était normal chez Ted, encore moins ses songes; ils étaient narcissiques, timbrés et un zeste obsessionnel. Azkaban, encore et encore. Toutefois la prison différait légèrement de la réalité : il y avait des formes indescriptibles, des interlocuteurs détraqués en plus. Il n'y avait pas de déduction possible, les conventions étant totalement balayées. L'effroi était le seul sentiment imaginable et réaliste qui découlait de son entretien avec le sommeil. Celui qui battait chacun des gens, même les meilleurs. Que pouvait faire un petit sorcier pour le vaincre ? Rien. Seulement attendre que son chatiment soit fini. Quand ce n'était pas le sommeil qui parlait c'était son cerveau, cette petite voix.
Jeudi encore, ils sonnèrent tous les deux dans le creu de son crâne. Les doigts entremêlés dans les draps teintés d'un blanc immaculé, se joignèrent entre eux pour étirer le corps flasque du capitaine. Les cernes masquaient une certaine fatigue, récompense méritée d'une veillée loin des règles de la stricte école. En soit ce n'était pas un début de mauvaise journée. Elle était seulement banale, un peu trop.

«  Père, Mère,

Entités de mon passé, fantômes de mon présent, je vous hais. Peu de gens arrivent à me faire éprouver quelque chose, je vous félicite aussi. Vous avez même fait mieux que ça. Je ne sais quel maléfice vous m'avez lancé ce jour-là, je ne sais quelle partie de mon cerveau vous avez détraqué, mais vous avez réussi. Alors bravo ! A présent je me pose quelques questions insignifiantes. Pourquoi ? Pourquoi un acharnement si constant ? Est-ce que les psychiatres moldus avaient raison à mon sujet ? Pourquoi m'avoir envoyé les voir alors qu'ils n'ont aucun pouvoir, vous qui les détestez ? Sinon tout va bien, je ne suis pas encore à Azkaban. Peut-être que je torture quelques animaux de temps en temps mais c'est assez rare. Bref, je ne vous écris pas pour parler de moi mais plutôt pour vous dire que j'adore vous détester.

Amicalement,
Votre fils adoré »

Lisait-il à voix basse. Il avait trouvé cette lettre sur sa table de chevet, dépliée et à la vue de tous. Ses traits s'étaient déformés à la pensée qu'un serpentard avait peut-être lu des écrits oubliés. Son regard se durcit à la vue d'un première année dans les parages. Si c'était lui, il l'écraserait en moins d'une seconde. Mais si ils étaient plusieurs ? C'était Ted Winchester, le détesté. Le tyrannique. Et le faiblard Teddy. Si ça venait à se savoir, sa réputation d'homme imperturbable serait achevée. Et puis, qu'est-ce qu'il lui avait pris de rédiger de tels mots ? Des phrases vides de sens ? Et si c'était seulement lui ? Impossible. Il ne se rappelait de rien. Il ne se souvenait même pas de l'heure d'écriture. Ted était perturbé. Perturbé de la violence qu'il avait usé lors de l'altercation avec Ludwig, avec Perkins, avec Calden, avec Diggory et tant d'autres. Perturbé par son manque de contrôle. Perturbé par le monstre qu’il laissait entrevoir aux yeux de tous. Les sorciers de Poudlard avaient révélé ce qu’il y avait de plus mauvais en lui et Ted ne savait pas comment refermer la plaie. Il sortit prendre l’air, sa montre à gousset à la main. Il devait se convaincre qu’il était quelqu’un de bien. Qu’il pouvait l’être tout du moins. Pour le monde. Il voulait se persuader qu’il pouvait l’atteindre, le calme, que malgré sa noirceur, il y avait une quelconque lumière. Ses phallanges jouaient nerveusement avec l'instrument de la ponctualité. Qui était-il à la fin ?

Ce matin-là, il avait raté le cours qu'il aimait le plus. La DCFM. Il marchait. Ses pas enchainèrent les paysages et les sols avec une rapidité hallucinante. La pluie glissa sur sa cravatte verte et argent, mal ajustée, sans glacer ses os. Les dernières feuilles tombèrent. Il laissait ses pas le guider, l'emmener quelque part, un lieu inconnu, sûrement. Une jambe devant l'autre, ses pieds restant droits portant avec fragilité ses propres genoux qui commençaient de plus en plus à fléchir, tremblant brutalement sous le coup de l'émotion; le choc. Par Merlin, mais que lui était-il arrivé ? Il froidit son visage déjà glacial et ferma quelques simples secondes ses paupières, laissant ses jambes l'emmener aussi loin qu'elles le pouvaient de cette peur d'être une erreur. Il l'était déjà au fond mais il l'était par choix et non par obligation. A peine avait-il fermé les yeux qu'il revoyait les aiguilles, qu'il entendit le bruit éthéré de sa montre, un parfum de lilas qui agaçait ses narines. Brusquement, il rouvrit les yeux, entendant au loin des bruits de pas précipités, faisant résonner le sol et écrasant avec vivacité les feuillages qui n'avaient rien demandé. Encore elle.

- Calden, soupira-t-il.

La forêt interdite était belle. Pleine de créatures, de noirceur, terrifiante et inquiétante, mais rassurante à la fois. Et pourtant sa première fois avait été il y a seulement quelques mois, avec Minami. Elle avait réussi à lui faire comprendre que ce n'était pas la forêt qui était effrayante mais seulement les gens qui pénétraient l'endroit. Et il était vrai que, de par son interdiction, parfois elle pouvait accueillir quelques élèves en mal de sensation forte. Ou un premier année qui aurait perdu son chemin. Mais il ne voulait pas la croiser. Pas elle.

- Tu n'es pas venu à mon rendez-vous, siffla la blonde en adoptant un ton froid.

Non il n'était pas venu au rendez-vous. Par lâcheté. Il n'avait jamais été aussi proche de ses parents au moment où il avait pris cette décision. Cette réflexion semblait triste quand il se rendit compte que pas une seule fois il avait reçu d'affection venant de leur part. Il aurait aimé savoir ce que ça faisait, d’avoir des parents qui l’aimaient, qui prenaient soin de lui. Savoir ce que ça faisait que de connaître la présence d’un père. La reconnaissance d’une mère. Tout ce qu'il avait été pour eux, c'était le vilain petit canard. Alors il devait agir comme tel avec quiconque. Quiconque qui perturbait ses habitudes. Et ce jeudi matin c'était Calden. Son sourire. Son regard. Tout était resté dans la tête de Ted. En plus d’un mois, il avait gravé Jane dans sa mémoire sans jamais pouvoir la retirer. Il n’aurait su dire ce qui avait provoqué une telle connexion. Elle était… il n’aurait même pas su comment la décrire. La dernière fois, il y était parvenu, mais désormais, chaque mot devenait dérisoire, incohérent. Elle était particulière, unique. Quelque chose qu’il n’avait jamais vu avant. Une innocence poussée à l’extrême. Ted devait penser à autre chose. C'était une née moldue et la famille Winchester ne le pardonnerait jamais. Mettant en évidence sa célèbre montre, il fit mine de lire l'heure défilante.

- En effet, je suis en retard.  Il était tellement déconcentré en ce moment, par tout, par ses expériences qui tournaient mal, par ce qu’il se passait au château. Il avait sûrement vu en Jane une douceur qu’il recherchait actuellement, dont il avait besoin, un échappatoire. Sors-toi là de la tête, Ted. Elle n’est pas pour toi. Il se répétait ça tandis qu'elle espérait des explications. Explications qu'il lui fournit sur un plateau. J'ai oublié. Fausses évidemment. Pourquoi es-tu là ? Tu m'as suivi, non ? Le jeune homme plongea son regard sombre dans le sien tout en s'approchant dangereusement d'elle. Il était une ombre menaçante mais curieusement amicale. Es-tu folle ? Il esquissa un sourire anormalement large tout en penchant la tête. Je veux dire.. A quelle intensité es-tu folle ? Tout le monde est taré de nos jours. Moi le premier. avait-il achevé, d'une froideur à toute épreuve. Ted sortit le bout de bois de sa manche avec une élégance nonchalante. Son visage était proche, son souffle saccadé l'était aussi. Est-ce que tu as peur ? Je pourrai par exemple.. La baguette du Serpentard frôla les traits faciaux de Calden avec douceur. Te tuer ? Ou pire encore ? Personne ne le saurait. Brutalement, il détourna les talons. Au même instant, il se recula du désir malsain qu'il éprouvait pour Jane, prêt à s'en aller, à abandonner toute initiative. Va-t-en.

Fatigué. C’était le mot que Ted aurait pu employer ces derniers mois si on lui avait demandé comment il se sentait. Ca résumait toutes les situations en un seul mot, au moins. Fatigué de devoir lutter d’un côté, de devoir jouer de l’autre pour garder une certaine constance. Fatigué des vérités qui commençaient à éclater de tous les côtés. Fatigué de devoir s’expliquer, de devoir comprendre. Il était juste fatigué. Il savait qu’il n’avait pas la vie la plus compliquée, et que tout pouvait être résolu avec du temps et de la patience. Mais ça ne l’empêchait pas d’avoir envie de s’arracher les cheveux par moment, de vouloir taper dans des portes pour se défouler. Voilà pourquoi le meilleur endroit pour le faire était la forêt interdite. Mais Jane était là. Elle. Encore elle. Toujours elle. Il ne pouvait pas craquer devant elle car on ne craque pas devant une enfant. Voilà ce qu'elle représentait pour lui, une enfant - certes du même âge que lui. Le terme bambin n'était pas péjoratif cette fois car il adorait passer du temps avec. Elle et leurs jeux enfantins, quoi qu'un peu violents. Elle avait bien fini deux fois à l'infirmerie à cause de lui. Mais cela ne l'empêchait pas de continuer à l'approcher. De plus en plus. Et le plus fou dans cette situation, c'est qu'il la laissait faire et se prenait au jeu. Un jeu qui continuait depuis plusieurs mois, s'installant dans la longévité du temps, et qui devenait dangereux. Trop dangereux pour qu'il continue. Il ne pouvait pas résister à cause de plusieurs choses. Sa légéreté, que beaucoup enviaient, par exemple. Son intelligence. Sans oublier sa capacité accrue à lui faire tourner la tête. Plusieurs fois, il avait essayé de la sortir de sa cervelle brouillée sans grand succès. Plusieurs fois, il l'avait fui sans grand succès. Elle revenait tout le temps.

- Je ne sais pas ce que tu as vécu Ted, mais ça ne devait pas être joyeux elle conclut dans un soupire, Rien n'est pire que la mort.

Ses iris s'accrochèrent aux siens, implorèrent, sombrèrent dans un océan vide de pensées incontrôlables. Les feuillages caressaient son visage froid et impassible. A l'intérieur, il bouillonnait. Il ne voulait pas qu'elle pénètre dans son esprit, qu'elle découvre qui il était réellement. Ou si finalement. Si il lui disait tout ce qu'il se passait dans son cerveau, elle s'en irait comme tous les autres. Et il n'aurait plus à lutter contre ses démons intérieurs, ses altercations extérieures, sa réputation. Une pure symphonie neuronale.

- Je vois que tu fais partie des ces personnes qui ne savent pas ce que c'est. Pour ton information, je n'ai rien vécu. Je suis juste quelqu'un de plus intelligent que toi, déclarait-il avec une arrogance monstre. Ses doigts frôlèrent le cou de la jeune femme. La souffrance. La perte. L'abandon. La solitude, évidemment. Tu dois savoir ce que c'est, non ? Il s'était retourné avant qu'elle n'achève la conversation. Bien-sûr que viser ses parents n'était pas la meilleure des choses, horriblement dangereux. Marcher sur un fil cassant était plus sûr. D'autant plus qu'il s'était déjà pris les foudres de la jeune femme, ou plutôt le feu qu'elle avait en elle. Vouloir retenter l'expérience était carrément suicidaire.

- Qu'est-ce que tu fais ici ? On m'a toujours dit que ce n'était pas fréquentable dans le coin.

Et voilà qu'elle reprenait la conversation, celle qu'il avait laissé dans un coin perdu de sa tête et du temps. Quelques mois plus tôt, il lui aurait donné raison. Mais depuis le jour où il avait compris qu'il n'était lui-même pas fréquentable, plus rien ne le faisait peur. Enfin presque. Aucun paysage du moins, car ce sont les hommes qui les rendent mauvais. Jusqu'à présent, aucune branche n'avait jamais attaqué personne - du moins pas consciemment.

- Es-tu sourde ou stupide ? VA-T-EN, s'échauffa-t-il. Sa tonalité grondait et son regard menaçait. Non il ne voulait pas continuer de lui parler. Non, il ne voulait pas tout ça. Pourquoi était-elle si têtue ?

- Pourquoi avoir dit ça au sujet de mes parents ? Et pourquoi t'es pas venu au Lac ? Je te dégoûte tant que ça ? Jamais, elle ne l'avait dégoûté. Jamais, ô grand jamais. Elle l'attirait simplement, le serpent tournait presque de l'oeil quand elle était sur son sillage. Mentir était son seul échappatoire comme d'habitude. Le mensonge était son meilleur ami, son frère de sang, il l'avait aidé plus que n'importe quelle matière.

- Sans doute, oui. C'est ce que chaque sang pur qui se respecte ressent quand ils vous voient, vous les sangs de bourbe.

J'ai bien compris que tu ne voulais pas me voir ici, tu sais. C'est pas pour autant que je vais m'en aller ceci dit. Alors je te dégoûte, Ted. Hum.. j'espérais de toi autre chose que ce que les autres t'imposent. Tues-moi si je suis si misérable à tes yeux ? Comme tu l'as dit, personne ne le saura. C'est la bonne occasion, aller !

Le cœur de Ted tambourina. Jane savait que ce qu’elle venait de faire pouvait la mener à sa perte. Aller dans la forêt interdite, braver tout ce qu'il y avait à braver et se tenir devant lui. Même si il ne lui fera jamais aucun mal. Elle semblait ignorer d’où lui venait cette confiance aveugle, mais elle était prêt à jouer avec le feu, à s’enfuir pendue à son bras. Elle est son étoile, sa lumière. Il chassait les ténèbres de ses cauchemars, et il ne le savait même pas. Ted aimerait se tourner et voir son visage, connaître les réactions, les traits sous ses yeux, le froncement de ses sourcils. Il aimerait faire de nombreuses choses, écouter ses sentiments par exemple ou même ressentir quelque chose. Mais les seules choses qu'il arrivait à exprimer sur le coup c'était bien de la colère et de la froideur, capable de rivaliser avec la glace.

- Tes sentiments m'embrouillent, haha. Et y'a des choses que tu ne me dis pas fit-elle mine d'avouer afin de voir sa réaction.

Il agrippait sa tête avec la même rage, toujours avec la même haine dans le regard. Un regard glacial, inhumain. Il s'abandonnait à ses plus sombres instincts, n'étant bientôt plus qu'un monstre Il était bien trop perdu dans la noirceur de son âme. Désormais, tout ce qui comptait, c'était de lire cette peur paralysante sur le visage blafard de sa victime. Se nourrir de sa crainte pour assouvir sa faim. Où était passé le jeune homme de quinze ans, aux répliques séduisantes, d'un calme aussi serein que celui d'un criminel avant de commettre un crime? Dès qu'il perdait son sang-froid, il ne restait plus que le meurtrier sanglant, aux intentions morbides. A présent, sa conscience avait été enfermée dans une cage, il n'avait plus de compte à rendre à personne. Puisqu'il était seul, pourquoi ne pas céder à ses pulsions ? Une étincelle sordide éclaira ses iris sombres alors qu'il s'imaginait arracher ses pensées en deux. Il se figea, stoppa net cet élan de folie. Il était choqué par ce qu'il venait d'entendre. Il dégaina sa baguette, la pointa vers elle et s'arrêta. Oui, il pouvait lui faire du mal comme ce qu'il faisait à tous les autres. Laisser ses Ténèbres envahir ses tripes. Crier victoire après avoir blesser une née moldue et s'attendre à un aller simple à Azkaban. Il pourrait faire tout ça ou juste la faire taire. Faire taire la petite voix qui l'enrageait, celle qui violait son esprit de l'intérieur, le détruisait en plusieurs morceaux. Il hurla. Sa gorge était sèche, sa voix rauque déraillait, et son bras accompagnait la symphonie en exécutant les gestes de divers enchantements :

- FLAGRIA ! Finit-il par lâcher. L'arbre derrière Jane fut touché. Il enchaîna avec plusieurs autres sortilèges, tous prononcés avec la même force, tous ayant la même cible - le tronc. Ses mouvements étaient tremblants. Non, il ne voulait pas lui faire de mal.  Peut-être que c’était lui qu’il devait tuer après tout. Peut-être qu’il était trop atteint, trop fou. Il avait perdu tout bon sens, il n’était plus rien, et ce, depuis trop longtemps. Pourquoi continuer ? Pourquoi ne pas tout achever. Il la regarda. Elle était belle. Il pensa qu’il l’avait rêvée, qu’elle n’avait jamais existée. Une personne si pure ne pouvait être réelle. C’était l’ange qui le gardait éveillé. Voilà pourquoi elle l’avait approché avec autant de facilité. Voilà pourquoi il s’était pris à ne penser qu’à elle jour et nuit. Tout s’expliquait là, sous ses yeux, alors même que Ted n’était plus lui-même. Il se redressa doucement, titubant un peu, se stabilisant enfin. Son souffle était toujours aussi rapide, aussi saccadé. Il avait du mal à respirer. Sa baguette glissa entre ses doigts et vint claquer contre le sol nuancé par de nombreux feuillages. Aide-moi.  Comme un soupir. Il ne savait même pas s’il l’avait vraiment dit. Il n’avait jamais demandé de l’aide à personne. Avait toujours réussi à se débrouiller seul. Il reconnaissait la défaite passagère. Elle était la seule.

Les mensonges sont bien trop cruels, ils sont de ces choses qui laissent un goût amer en bouche, un goût de tromperie, de dégoût. Ils laissent une trace, quand bien même l’intention était bonne, quand bien même on ait eu raison de le faire. Ted maitrisait son art, il maniait les mots mieux que quiconque, dissimulant les vérités avec finesse. Ce n’était pas des mensonges à proprement parler qui sortaient de sa bouche, surtout un silence, un silence profond qu’il enfouissait. Comme si les mots s’étaient perdus sur le plancher de l’honnêteté, du courage aussi. Il y avait tant de paroles bienveillantes qu’il aurait aimé exprimer, mais crier au monde c’était s’avouer à soi-même. C’était inscrire dans le réel. C’était accepter. Et il voulait garder cette lumineuse partie pour une part inconsciente de lui-même, comme si ça ne le définissait pas, comme s’il était un autre homme. Celui qu’il prétendait être et celui qu’il était se mélangeaient et se différenciaient si bien à la fois. C’était à lui qu’il se mentait et à personne d’autre. C’était lui qui se coupait lui-même les ailes, et personne d’autre. Et Ted avait l’impression d’être une boule de feu qui ne pouvait approcher personne sans brûler, et Jane était venue s’agripper à lui malgré ce risque. Alors même qu’il pensait qu’elle l’évitait. Elle était venue toucher cette flamme dangereuse. Folie ou désillusion ? Peu importe, elle était là. La tête lui tournait, son sang ruisselait à une vitesse monstre. Etait-il mort ? Non, sans doute que non - même si il l'aurait bien voulu. Elle le regardait. Que pensait-elle de lui ? Que pensait-il d'elle au fond ?

- Episkey chuchota Jane. Voilà.. fit-elle un sourire aux lèvres.

Et voilà qu'elle soignait un monstre. Il n'y avait plus aucune logique, plus aucun réalisme. Cela ne pouvait être qu'un rêve, un beau rêve bien trop romantique pour lui. Un échange de regards. Les secondes s'écoulaient lentement, l'instant se figea. Ce qu’ils avaient partagé, ce n’était qu’un baiser, pas une vie, des instants, pas l’éternité. Un baiser qu'il était loin de détester. La serdaigle avait des lèvres fines, qualité qu'il adorait chez les filles. Bien loin de penser qu'il était amoureux, Ted était désormais pris d’une anxiété sans pareille, entre avidité et appréhension. Il se rassurait seulement en se disant que c'était impossible. Que l'Amour ne pouvait pas le toucher. Dès le plus jeune âge, il s'était persuadé de faire comme ses parents : épouser une femme de haute catégorie, sang pur, et pour qui il n'éprouverait aucun amour. Il n'y avait aucune chance que Calden brouille ses plans.

- Désolée.

Il aurait voulu la retenir pour obtenir des explications. Aucun son ne sortit de sa bouche. Ce baiser ne représentait définitivement rien.