Le vent de Décembre faisait claquer la cape de Rosalind et elle remonta le col d'hermine autour de son cou. En d'autres circonstances, la petite fille n'aurait pas mis le nez dehors. Les températures avaient considérablement baissées et Fawley avait horreur du froid. Mais, stupidement, elle n'avait pas résisté à l'idée de parader avec sa toute nouvelle cape. Elle l'avait reçue le matin même, emballée soigneusement dans un papier mordoré, et accompagnée d'une note de ses parents. C'était le vêtement qui avait nécessité de multiples hiboux envoyés à sa mère, afin de la convaincre de passer commande auprès de leur couturier habituel. En déployant le tissu souple et chaud, Rosalind n'avait pu retenir un cri de ravissement. C'était exactement la coupe et les matières qu'elle avait désirées.
Dès lors, elle n'eut qu'une hâte: celle de pouvoir se promener à l'extérieur du château en pavanant avec cette nouvelle acquisition. Malheureusement, ce plan sensé flatter sa vanité était quelque peu tombé à l'eau. Elle avait été incapable de persuader les membres de sa cour personnelle de sortir faire un tour dans le parc. Aucune cajolerie ou menace n'avait pu tirer ses copines du canapé confortable de leur Salle Commune. Pas découragée pour autant, Rosalind s'était alors enveloppée avec dignité dans sa nouvelle cape et avait pris le chemin du parc d'un air décidé.
Malheureusement, tous les élèves semblaient avoir préféré rester au chaud, protégés du froid par les épais murs de Poudlard. Et personne ne se trouvait en vue. C'était raté pour les regards et les commentaires admiratifs qu'elle avait voulu susciter... Un lourd manteau de neige recouvrait le Parc et le gel commençait à saisir les eaux du Lac. Le fond de l'air était glacial, et après quelques pas, la petite blonde songea qu'il vaudrait peut-être mieux retourner se réchauffer auprès du feu de la Salle Commune.
Elle s'apprêtait à faire demi-tour quand elle repéra une tâche brune près du Lac. Elle plissa les yeux afin de mieux voir de quoi il s'agissait et discerna la silhouette d'un jeune Sorcier. Même à cette distance, elle reconnut les boucles brunes et désordonnées qui caractérisaient Aleric Carrow.
Sang-Pur, lui aussi. Leurs familles étaient proches, et quand ils étaient petits, on les trouvait toujours fourrés ensemble. Que ce soit lors des réceptions organisées par les Sorciers de leur caste, ou bien lors des visites que se rendaient les Fawley et les Carrow. Aleric était un camarade de jeu insatiable, toujours en quête de sensations. Il avait également un penchant pour la dissection de petits insectes ou animaux en tous genre, et avait trouvé en Rosalind une partenaire idéale pour l'assister lors de ses opérations. La fillette eut une pensée teintée de remords au souvenir du rat de compagnie qu'ils avaient "emprunté" à la petite Selwyn. Grignotin ne s'était jamais complètement remis de leurs expérimentations enfantines... ce qui avait valu aux deux enfants une correction mémorable de la part de leurs géniteurs. Puis le temps avait passé. En grandissant, Aleric avait progressivement délaissé Rosalind pour jouer avec d'autres compagnons à des jeux "de garçons". Fawley, quant à elle, trouvant ces nouvelles occupations brutales et sans intérêt, s'était plongée dans ses livres. Ils n'étaient plus vraiment amis, mais Gallus ne manquait pas une occasion de taquiner sa fille, en lui rappelant le malheureux baiser que Carrow et elle avaient échangé quand ils avaient six ans. Le nez de Rosalind se fronça alors qu'elle se remémorait cet épisode. *Pouah.* Elle n'était pas prête de réitérer l'expérience de sitôt.
Levant la main, elle cria en direction du petit brun.
La matinée, fraîche et lumineuse, s'entamait avec un Aleric collé au carreau d'une grande fenêtre, dans la salle commune. Au travers des méandres du lac noir, on apercevait en levant le nez les rayons blancs du soleil hivernal, percer la surface de l'eau et plonger jusqu'à la maison des Serpentards. Carrow pensa qu'il devait neiger, là haut. Il avait hâte d'enfiler sa cape d'hiver et d'aller se promener dans le parc. Mais il était encore un peu tôt. Les élèves n'étaient même pas allés prendre leur petit déjeuner.
Les minutes défilèrent et le garçon finit par se décider : il attrapa sa cape dans son dortoir puis se rendit dans la grande salle, encore quasiment déserte. Il avala quelques mets sympathiques puis s'enroula dans son manteau, avant de gagner le parc. Complètement désert, lui. La neige était bel et bien tombée, comme il l'avait espéré. Bien que pas assez à son goût. Les allées et les pelouses étaient saupoudrées d'une fine couche blanche, qui craquait sous le pied, plongeant Poudlard dans une atmosphère polaire qu'Aleric affectionnait.
Il n'y avait pas assez de neige pour faire un bonhomme, mais s'il se trouvait un éventuel partenaire de jeu, Aleric pourrait peut-être lancer une bataille de boules de neige. Pour l'instant, la question ne se posait pas puisqu'il n'y avait personne à l'horizon. Le garçon se rabattit donc sur les berges du lac noir, où il s'installa confortablement en prenant bien garde d'étaler sa cape sous lui : hors de question de se mouiller le fessier !
Tandis qu'il contemplait, l'air un peu absent, les vaguelettes du lac (sans doute provoquées par le terrifiant calmar géant), Carrow entendit quelqu'un l’interpeller dans son dos. Il se tourna vivement et dévisagea l'intrus en plissant les yeux pour mieux le discerner. Fawley s'approchait de lui, emmitouflée dans un manteau qui lui seyait à la perfection. Aleric eut un sourire en coin : cela faisait bien longtemps qu'il n'avait pas eu l'occasion de se retrouver en tête à tête avec Rosalind. Sa Rosa, fut un temps...
Elle lui manquait, il devait bien l'avouer. Son côté charmeur s'était déclaré bien avant celui de ses camarades du même âge, à tel point qu'il avait osé voler un baiser à la jeune rousse alors qu'ils n'avaient pas plus de six ou sept ans. Leurs parents respectifs avaient trouvé ça adorable, mais Rosa avait pris la mouche en rougissant comme une écrevisse. À partir de ce moment-là, les deux enfants avaient commencé, tout doucement, sans s'en apercevoir, à s'éloigner l'un de l'autre. À trouver d'autres occupations, chacun de leur côté, et à passer plus de temps avec d'autres personnes. Et Aleric n'avait jamais cessé de le déplorer. Il aimait beaucoup Rosalind.
Tout à ses pensées (et en se rendant compte qu'il aimait toujours beaucoup Rosa aujourd'hui), un petit pincement au cœur le poussa à lever la main pour faire signe à sa camarade d'approcher.
"Salut Rosa, joli manteau !" Il savait pertinemment que sa petite amoureuse adorait les compliments. S'il existait un espoir de la "reconquérir" pour qu'elle reprenne sa place à ses côtés, il n'allait pas lésiner sur les efforts...
Le compliment emplit Fawley de satisfaction. Elle offrit un sourire radieux à son camarade et s'avança précautionneusement dans la neige. Elle n'avait pas l'intention de tremper son uniforme plus que nécessaire. Carrow avait étalé sa cape sur les bords du lac et y avait pris place. Le vent y était plus fort et Rosalind grelottait. *Rosa...* Cela faisait longtemps qu'on ne l'avait pas appelée par ce diminutif. Ce n'était pas désagréable, au contraire.
-Je peux?, demanda-t-elle en désignant le siège improvisé. Elle s'assit aux côtés du petit garçon et sortit une paire de gants de sa poche.
-Tu prends l'air, Carrow? Tu as toujours adoré la neige si je me souviens bien...
Ces quelques mots prononcés, Rosalind ne savait plus quoi ajouter. Un manque d'éloquence auquel elle n'était pas habituée. Elle se sentait un peu gênée. Cela faisait longtemps que les deux enfants ne s'étaient pas parlé, alors même qu'ils avaient été distribués dans la même Maison. Ils se connaissaient bien pourtant, trop pour n'échanger que des banalités. Rosalind finit d'enfiler ses gants, et pour masquer son embarras, saisit une poignée de neige et entreprit de la façonner. Considérant le petit projectile qu'elle venait de former, un souvenir lui revint et la fit éclater de rire.
-Tu te souviens du bonhomme de neige qu'on avait construit chez mon oncle? Celui qu'on avait appelé "La Chose"?, dit-elle en se retournant vers le petit brun. On avait dit à mon cousin qu'il se mettait à bouger la nuit, et qu'il en profitait pour tuer les enfants...
Fawley ricana en revoyant le visage défait de son cousin, plus âgé qu'eux, alors qu'ils lui racontaient l'histoire à dormir debout du terrible bonhomme de neige...
-Quel trouillard, ajouta-t-elle avec mépris. Il n'a pas voulu dormir tout seul pendant un mois après ça!
Elle jeta la boule de neige le plus loin possible vers le lac.
- Enfin, on était petits à l'époque. Et maintenant... On est tous les deux à Serpentard! Tu dois t'y sentir comme un poisson dans l'eau, non?